Il s'agissait de transformer des citrouilles vieilles d'un demi-siècle en carrosses gastronomiques sur rail. Il a fallu deux ans de coups de baguette magique répétés pour que le Train du Massif de Charlevoix voie le bout du tunnel. Mais quelle trasformation!

Le Train du Massif de Charlevoix est l'antithèse de l'Orient-Express ou du Blue Train ressuscités. Pour ceux-là, il s'agissait de faire du vieux avec du neuf. De recréer les décors opulents et les ambiances feutrées de l'âge d'or du chemin de fer de luxe.

Pour le train touristique que Daniel Gauthier, président du Groupe Le Massif, voulait faire rouler entre Québec et La Malbaie, le mandat confié à Morelli Designers consistait plutôt à faire du neuf avec du vieux et à le remettre sur les rails. Le décor devait être élégant mais sans prétention. L'opulence serait fournie par l'extraordinaire paysage riverain.

Entre 2004 et 2006, le Groupe Le Massif avait acheté à Chicago quelques voitures Pullman de type «gallery», c'est-à-dire comportant deux rangées de sièges supplémentaires, accrochées en encorbellement de part et d'autre de l'allée centrale. De vénérables trains de banlieue barbouillés de rouille, fabriqués au milieu des années 50.

En réponse à l'appel de proposition initial, Morelli Designers avait suggéré en 2009 un séduisant aménagement de type bistro, aux immenses fenêtres ouvertes sur l'environnement, qui ne conservait qu'une seule des deux mezzanines.

Le Massif a retenu les services de la firme montréalaise, mais a opté pour un service aux tables de grand style. «Ça nous a obligés à changer notre fusil d'épaule, parce que le service aux tables n'aurait pas fonctionné sur le fameux balcon», décrit le designer industriel Michel Morelli.

Exit les mezzanines. Et disparue aussi la rigidité qu'elles assuraient au wagon.

Dénudée, la voiture, d'une hauteur intérieure de 11 pi, s'allongeait alors comme une nef de cathédrale, avec son long vaisseau voûté d'acier. Pour renforcer ses parois affaiblies, il a fallu accrocher aux deux tiers de la hauteur des poutres transversales.

«Ce fut le plus grand défi, relate Nancy Belley, directrice générale du Train touristique de Charlevoix. Comment harmoniser ces poutres indispensables de telle manière qu'en entrant dans la voiture, on dise "wow!" et qu'on s'imagine presque qu'elles ne sont là que pour le plaisir de l'oeil?»

Johnathan Côté, directeur artistique du projet chez Morelli, a proposé des poutres triangulées avec goussets rivetés, rappel des larges berceaux d'acier et de verre qui recouvraient les quais des gares, au tournant du XXe siècle.

Entre elles, la voûte est tendue d'une membrane tissée en fibres de verre, qui sert d'écran à l'éclairage en rétroprojection conçu par la firme Réalisations, responsable du «contenu scénographique embarqué».

Obstacles sur la voie

«J'étais le designer comptable», plaisante Johnathan Côté. Il a dû compter chaque centimètre et chaque dollar. Car l'espace et le budget pour l'aménagement intérieur se sont contractés à mesure que se sont accumulées les contraintes.

Pour un service quatre étoiles, pas question de plats réchauffés au four à micro-ondes. De concert avec la firme Julien, spécialisée en cuisine commerciale, Morelli a retenu un système de restauration qui permet de terminer la cuisson sur place en sept ou huit minutes. Cette petite cantine a été aménagée à l'extrémité de chaque voiture, pour les rendre autonomes.

Mais cela faisait autant moins d'espace pour les tables. Les locomotives diesel d'occasion ne pouvaient fournir l'électricité nécessaire aux voitures. Il a fallu acheter un wagon supplémentaire et le munir de deux génératrices.

Une nouvelle dépense qui a grevé d'autant le budget pour l'aménagement.

La créativité a suppléé. Des sièges de train coûtent près de 2700$ la paire. Pour une fraction du prix et tout en respectant les normes de sécurité, les designers ont modifié des sièges d'autocar, pour lesquels ils ont dessiné une banquette lisse, afin que les convives puissent se glisser plus aisément le long des tables.

Rompant avec la tradition ferroviaire, Morelli a conçu un intérieur aéré et lumineux, qui rappelle davantage l'architecture que le transport. Les parois des voitures sont couvertes de panneaux rectangulaires blancs, et rythmées par des colonnes marron où transitent les organes techniques. La lumière du jour tombe des fenêtres élargies des anciennes mezzanines.

Reconstruit par l'atelier CROI, de Saguenay, le train du Massif est parvenu à destination à l'été 2011. En dépit des contraintes budgétaires, «le projet a été réalisé à 98% tel qu'on l'avait imaginé dans nos rendus», assure Michel Morelli. Un succès qui a aiguillé Morelli Designers sur une nouvelle voie: la firme travaille maintenant sur le train touristique de Gaspé.