Une grève, deux jugements en arbitrage, quatre ententes de principe rejetées et une intervention gouvernementale sans précédent ont fini par donner à 2011 un arrière-goût de frustration extrême chez Air Canada, tant pour sa direction que pour ses employés syndiqués.

Et c'est une situation qui pourrait perdurer en 2012 pour le transporteur aérien.

Les travailleurs ont entrepris les négociations de cette année confiants de pouvoir récupérer certains des sacrifices qu'ils ont dû accepter depuis que la ligne aérienne s'est protégée de la faillite en 2003.

Le plus grand transporteur aérien au pays espérait pour sa part réduire davantage sa structure de coûts, potentiellement en lançant un éventuel un transporteur au rabais et en s'attaquant à ses obligations à long terme au sujet de ses pensions.

Mais en cette fin d'année, aucune des deux parties ne peut crier victoire, ont admis les leaders des deux syndicats d'Air Canada, aux premières loges des conflits.

«Ça a été un aller-retour en enfer», illustre le chef du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile, Ken Lewenza, qui représente les seuls employés d'Air Canada qui avaient reçu l'autorisation de faire une grève cette année.

«Cela n'a pas été une victoire totale, mais les négociations, de nos jours, ne sont pas des victoires totales pour nos membres. Elles consistent plutôt à trouver des compromis que nos membres sont prêts à accepter.»

Sous la menace d'une loi forçant leur retour au travail, les 3800 agents du service à la clientèle syndiqués ont approuvé une nouvelle convention collective à la suite d'une grève de trois jours en juin. Ils ont aussi accepté de confier le différend au sujet des pensions à un arbitre au jugement exécutoire.

Le jugement, qu'Air Canada a d'abord songé à contester devant les tribunaux, met la table pour le règlement du même problème avec les autres employés. Les employés nouvellement embauchés auront ainsi droit à de plus faibles salaires de départ et profiteront d'un régime de retraite hybride à contributions et à cotisations déterminées.

L'entreprise montréalaise [[|ticker sym='T.AC.B'|]] aurait préféré que tous ses nouveaux employés bénéficient d'un régime à contributions déterminées, dans le cadre duquel les versements à la retraite ne sont pas préétablis.

Frustrations

Selon M. Lewenza, le transporteur aérien se dirigeait tout droit vers une confrontation avec ses travailleurs parce que ses demandes étaient celles d'un lieu de travail non syndiqué et trahissaient le souhait de «nous abaisser au plus faible niveau des coûts d'exploitation».

Le chef du syndicat qui représente les 6800 agents de bord d'Air Canada a noté que les travailleurs étaient démoralisés parce que le contrat de travail qui leur a été imposé n'a pas permis de rectifier les pertes financières du passé.

«Je crois qu'ils ont rejeté leurs frustrations sur tout le monde - sur le gouvernement, sur la société et, jusqu'à un certain point, sur le syndicat», a affirmé le président national du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), Paul Moist, depuis Toronto.

Rassemblés par leur utilisation des médiaux sociaux, les employés ont rejeté à deux reprises des ententes de principe pourtant recommandées par leurs négociateurs syndicaux. La réputation de M. Moist a elle-même été éclaboussée après qu'il eut promis à la ministre du Travail, Lisa Raitt, que la deuxième entente serait ratifiée.

La ministre a répondu à une menace de grève, en octobre, en référant la dispute avec les agents de bord au Conseil canadien des relations industrielles, évoquant des inquiétudes quant à la santé et à la sécurité si un arrêt de travail devait avoir lieu. L'arbitre a subséquemment imposé la dernière entente rejetée par les agents de bord.

Mme Raitt a fait valoir qu'elle avait agi pour protéger «la fragile économie canadienne» des dérangements liés à une grève. Son geste a non seulement éliminé toute possibilité de grève, mais a vraisemblablement tué dans l'oeuf tout éventuel arrêt de travail par d'autres syndicats chez Air Canada.

Mais même si la menace d'une grève est moins imposante, Air Canada devra encore traverser des mois de difficiles discussions avec ses employés avant de pouvoir profiter d'une accalmie.

Les pilotes sont au beau milieu d'un processus de conciliation et les machinistes tiennent actuellement des négociations directes.

Le chef de l'association des pilotes a dit espérer qu'une entente puisse être ratifiée tôt dans la nouvelle année, afin d'éviter de se rendre à la date limite d'une grève potentielle, à la mi-février.

Selon le capitaine Paul Strachan, la clé pour la ligne aérienne sera de permettre aux pilotes de devenir des participants entiers à sa vision stratégique.

«Tant que cela manquera, je crois que l'entreprise va trouver qu'il est difficile de négocier avec nous parce que nous n'allons pas leur signer un chèque en blanc.»

Défis persistants pour 2012

Même si l'année 2011 a été difficile, elle n'a pas été la plus éprouvante dans l'histoire des relations de travail chez Air Canada.

Une longue bataille au sujet de la privatisation du transporteur à la fin des années 1980 s'est traduite par des grèves pour trois de ses quatre syndicats. Ces arrêts de travail ont été dommageables, mais les employés ont éventuellement laissé guérir les plaies, se souvient George Smith, enseignant à l'Université Queen's, qui était autrefois directeur des relations avec les employés chez Air Canada.

«Au moins, la privatisation était un enjeu précis. (...) En ce moment, l'enjeu n'est pas tout à fait clair.»

Le SCFP n'est pas le seul à avoir échoué à faire ratifier une entente de principe par ses membres. Les pilotes et les régulateurs de vols ont aussi rejeté des accords.

Chris Murray, analyste pour PI Financial, fait partie des observateurs de l'industrie qui estiment que le transporteur a peu d'options devant lui à part rechercher des économies substantielles. Les obligations non capitalisées de son régime de retraite dépassent les 2,1 milliards $ et sa situation financière est précaire.

Une forte concurrence, les coûts élevés du carburant, la vigueur du dollar canadien et les défis posés par le ralentissement économique continuent d'exercer une pression sur la ligne aérienne.

Air Canada a déjà réduit ses coûts de 530 millions $ et travaille sur des économies additionnelles, espérant que sa dette de 4,6 milliards $ pourra être réduite avant l'arrivée, en 2014, de son premier appareil Boeing 787.

«Ce n'est pas un secteur d'activité simple à gérer, mais je crois qu'ils ont fait un bon boulot pour ce qui est de travailler sur leurs coûts et de rendre la société un peu plus résiliente», a affirmé M. Murray.

Il s'attend à ce que 2012 reste difficile, particulièrement si l'économie reste fragile.

Vers un transporteur au rabais ?

Une des propositions les plus controversées du transporteur vise à créer une nouvelle ligne aérienne au rabais. C'est une idée qui gagne en popularité chez d'autres grands transporteurs pour réduire leurs coûts.

Air Canada a rejeté les demandes d'entretien pour cet article, mais son chef de la direction, Calin Rovinescu, a déjà indiqué que la réduction des coûts sur les itinéraires de destinations vacancières était nécessaire pour rivaliser avec WestJet [[|ticker sym='T.WJA'|]], Transat [[|ticker sym='T.TRZ.B'|]] et Sunwing et aider le transporteur à livrer des profits durables.

Dans une lettre à ses employés, M. Rovinescu a estimé que la décision d'American Airlines de demander la protection contre la faillite avait de quoi «faire réfléchir» l'industrie.

«Cela souligne à la fois combien le modèle traditionnel des lignes aériennes est brisé, et à la fois à quel point il est nécessaire de changer avec le temps, de reconnaître les nouvelles réalités d'aujourd'hui», a-t-il indiqué dans sa note, obtenue par La Presse Canadienne.

Sans mentionner explicitement l'idée d'un transporteur au rabais, il affirme qu'Air Canada doit continuer à travailler pour régler les inefficacités structurelles de ce modèle et pour développer une plus grande flexibilité.

«Nous devons nous montrer ouverts aux nouvelles façons de mener nos activités, nous devons contrôler nos coûts et nous devons travailler ensemble si nous voulons réussir.»