Jusqu'à maintenant, les ingénieurs d'Héroux-Devtek avaient surtout à se préoccuper de performance, de solidité, de poids et de coûts. Ils font maintenant face à un nouveau défi: réduire le bruit des trains d'atterrissage.

Le bruit?

Celui causé notamment par l'air qui s'écoule avec plus ou moins de bonheur le long de composants peu aérodynamiques.

«Le train d'atterrissage n'a jamais été conçu pour être aérodynamique, rappelle Patrice Gauvin, vice-président au développement des affaires chez Héroux-Devtek, dans une entrevue avec La Presse Affaires. Tant que les moteurs faisaient beaucoup de bruit, on n'entendait pas les trains d'atterrissage. Mais il y a eu beaucoup de progrès au cours des 20 à 30 dernières années: on n'entend presque plus les moteurs.»

On entend donc les trains d'atterrissage.

La lutte au bruit ne date pas d'hier.

«C'est un enjeu important, explique Fassi Kafyeke, directeur des technologies stratégiques chez Bombardier Aéronautique. De tous les problèmes de nuisance de l'aviation, je pense que le pire, c'est le bruit. Les gens qui habitent près des aéroports entendent le bruit des avions. C'est un problème communautaire.»

L'amélioration au cours des dernières décennies a été significative: on n'a qu'à se rappeler le vrombissement infernal des Boeing 707 d'antan, qui interrompait toute conversation.

«Grâce à la technologie, les avions d'aujourd'hui sont 75% plus silencieux que ceux d'il y a 50 ans», affirme M. Kafyeke.

Toutefois, le trafic aérien a augmenté dans le monde, multipliant le nombre de personnes touchées par le bruit.

Évolution des normes

L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a fixé des normes de bruit acceptable et les révise périodiquement. Des normes plus sévères s'appliquent ainsi pour les appareils construits depuis 2006. Une nouvelle série de normes devraient entrer en vigueur d'ici quelques années.

Pour le motoriste Pratt & Whitney Canada (P & WC), il est important d'aller au-delà des normes en vigueur et des normes qui s'annoncent.

«Le cycle de vie de nos produits est très long, explique Walter di Bartolomeo, vice-président à l'ingénierie chez P & WC. Lorsque nous mettons des produits sur le marché, nous voulons nous assurer que leur vie ne sera pas écourtée par de nouvelles normes.»

Un produit moins bruyant constitue également un avantage concurrentiel pour un avionneur ou un motoriste.

«Il y a des aéroports qui ont des limites plus sévères, indique M. di Bartolomeo. Certains types d'avions ne peuvent ni atterrir ni décoller.»

Ou encore, les appareils plus bruyants ne peuvent pas atterrir ou décoller après certaines heures.

«Lorsque nous disons aux clients que nos avions d'affaires peuvent atterrir à n'importe quelle heure à l'aéroport d'Orange County (en Californie), c'est un avantage», souligne M. Kafyeke.

Il y a plusieurs façons de réduire le bruit d'un appareil, mais beaucoup d'efforts se portent évidemment du côté du moteur.

«Le bruit est généré par une insuffisance aérodynamique, indique M. di Bartolomeo. En améliorant l'efficacité aérodynamique, on réduit le bruit.»

Il s'agit notamment de modifier la géométrie des composantes pour diminuer la turbulence. Un motoriste peut également utiliser des matériaux qui jouent le rôle de silencieux en absorbant l'énergie et la turbulence.

L'architecture du moteur peut également jouer un rôle. C'est ainsi que Pratt & Whitney fonde beaucoup d'espoir sur un nouveau moteur, la turbosoufflante à réducteur (gear turbo fan), qui équipera la CSeries de Bombardier. La soufflante tourne à une vitesse moindre que dans les moteurs conventionnels, ce qui devrait entraîner une réduction du bruit.

Aérodynamisme et matériaux

Les avionneurs planchent également sur l'aérodynamisme et les matériaux de leurs produits.

«L'utilisation des matériaux composites permettra de réduire le poids de la CSeries de 10 à 20%, note M. Kafyeke. Le moteur pourra donc être moins puissant, ce qui se traduira par une réduction du bruit.»

M. Kafyeke note que le monde de l'aéronautique étudie présentement la possibilité de mettre les moteurs sur les ailes, de façon à masquer leur bruit.

«Le bruit se reflète vers le haut plutôt que vers le bas», explique M. Kafyeke.

Le carénage des moteurs peut aussi jouer un rôle: certains sont coupés avant la fin des moteurs, d'autres sont plus longs et couvrent tout le moteur.

«En principe, le carénage long réduit davantage le bruit que le court, indique le directeur des technologies stratégiques de Bombardier Aéronautique. Mais l'avion consomme plus.»

C'est là un problème récurrent: il faut parfois établir une priorité entre des objectifs qui ne vont pas toujours dans la même direction.

M. Kafyeke donne l'exemple d'un nouveau concept de moteur, la soufflante non carénée (open rotor), qui n'est pas couverte par une nacelle.

«Ça consomme beaucoup moins qu'une turbosoufflante, mais le bruit est très élevé, indique-t-il. Si on parvenait à la fixer au-dessus des ailes, on pourrait avoir une réduction du bruit et une réduction de consommation. Mais il faut des études.»

Walter di Bartolomeo, de P & WC, affirme que la plupart du temps, les objectifs de réduction de bruit et de diminution de la consommation vont de pair: un moteur plus aérodynamique sera à la fois plus efficace et plus silencieux. Mais cette belle harmonie a des limites.

«C'est clair que si on mettait un gros silencieux au moteur, celui-ci ferait encore moins de bruit, mais la consommation serait un problème», note-t-il.

Chez Héroux-Devtek, le problème d'objectifs contradictoires est particulièrement aigu: si les trains d'atterrissage n'ont jamais été conçus pour être aérodynamiques, c'est que jusqu'à maintenant, l'aérodynamisme ne constituait pas nécessairement un atout. Au contraire: les trains avaient avantage à créer le plus de traînée possible pour aider l'avion à ralentir à l'atterrissage.

«Maintenant, il faut réduire le bruit tout en essayant de ne pas réduire la traînée, indique Patrice Gauvin. Ce n'est pas évident. Nous devrons analyser le bruit avec des modèles informatiques.»

Il pourrait notamment y avoir des fréquences plus agaçantes qu'Héroux-Devtek pourrait viser, ce qui lui permettrait de préserver les fréquences moins nuisibles et de conserver une certaine traînée.

Ces modèles informatiques sont cependant encore en développement.

«Pour nos ingénieurs, c'est un défi intéressant», note M. Gauvin.