Petit vendredi matin au poste frontalier de Champlain, à 45 minutes de Montréal. Une vingtaine de poids lourds attendent en file quand Patrick Joubert, camionneur à VTL Transport, se présente au douanier avec sa remorque, qui contient 26 sécheuses.

Le routier montre ses documents, répond à quelques questions. Puis il est dirigé vers un immense scanneur qui ausculte les moindres recoins de son véhicule, sous l'oeil de deux Américains en uniforme. «Ils peuvent vider ta cargaison au complet s'ils voient quelque chose qui ne leur plaît pas au rayon X, dit-il. Ça m'est arrivé en 2006, j'ai perdu quatre heures.»

La machine ne détecte rien de suspect. Patrick Joubert reçoit le feu vert pour reprendre la route, moins de 15 minutes après son arrivée au poste-frontière. Rien à voir avec les délais interminables d'il y a 10 ans, dans les semaines qui ont suivi les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Charles Englehart, directeur général de l'Association des routiers professionnels du Québec (ARPQ), se souvient avec acuité de cette période mouvementée. «Quand le 11 septembre est arrivé, tout a changé. La transition a été très difficile, il y avait des attentes de trois, quatre, cinq heures aux douanes.»

Les attaques ont mis les autorités sur le pied de guerre - avec raison. La frontière canado-américaine, qualifiée de véritable passoire par des responsables américains, devait être resserrée, et vite.

Le défi était titanesque. Il fallait empêcher les terroristes potentiels et les substances dangereuses d'entrer aux États-Unis, tout en permettant le passage du milliard de dollars de marchandises qui transitent chaque jour par camion entre les deux pays. Un vrai casse-tête.

L'un des plus grands changements post-11 septembre, c'est que les autorités américaines exigent désormais que les cargaisons des camionneurs soient dédouanées avant leur arrivée au poste-frontière. Selon l'ancienne méthode, les routiers devaient se présenter au douanier avec une liasse de documents et croiser les doigts pour ne pas avoir de problème.

Cette autorisation préalable a exigé la mise en place d'une foule de systèmes informatiques, dont ACE, géré par le Department of Homeland Security. Pour accélérer les démarches, les camionneurs peuvent s'inscrire au programme FAST/Express. Après un examen approfondi de leur historique personnel et la prise d'empreintes digitales, les routiers obtiennent une carte qui leur donne accès à une voie rapide au poste-frontière.

«C'est le jour et la nuit depuis qu'ils ont mis ça sur pied, dit Patrick Joubert au volant de son mastodonte, qui a 1,3 million de kilomètres au compteur. Il y en a qui hésitaient, dont moi-même, parce que les Américains voulaient prendre nos empreintes, mais ce système a tout changé. C'est vraiment mieux.»

Selon le camionneur, qui sillonne les routes de l'Amérique du Nord depuis 20 ans, le temps d'attente aux frontières a été singulièrement réduit depuis l'instauration de FAST. Sauf exception, il est aujourd'hui de cinq minutes à une heure.

Des écueils

La machine est bien rodée, mais seulement depuis trois ans, précise Charles Englehart, de l'ARPQ. La période de transition a été longue. Et si le passage est plus rapide qu'avant aux frontières, les formalités de dédouanement des marchandises sont d'une lourdeur parfois asphyxiante pour les entreprises de transport. Celles-ci doivent souscrire à de nombreux programmes - comme FAST, CT-Pat et PAP -, qui ne communiquent pas tous entre eux.

Même les courtiers en douane, payés pour agir à titre d'intermédiaires entre les transporteurs et les autorités américaines, se plaignent de la complexité des démarches administratives. «Le problème, selon moi, c'est qu'il y a trop de programmes, lance Shelley Gares, vice-présidente du courtage douanier à UPS Canada. Les Américains ont les leurs, les Canadiens aussi, et parfois les critères pour participer à l'un ou à l'autre ne sont pas les mêmes.»

La multiplication des programmes coûte cher aux transporteurs canadiens, en temps comme en argent. Déjà, en 2005, Transport Canada estimait que les coûts associés aux mesures de sécurité atteignaient de 250 à 400 millions de dollars. «C'est un boulet énorme pour les petits transporteurs», dit Mme Gares.

À l'Agence des services frontaliers du Canada, créée en 2003 dans la foulée des attentats terroristes, le porte-parole Dominique McNeely reconnaît que tous ces programmes sont «complexes». L'intégration des formalités canadiennes et américaines «progresse tranquillement», a-t-il indiqué, sans pouvoir préciser d'échéancier. Le Department of Homeland Security n'a pour sa part pas répondu aux questions de La Presse.

Malgré les écueils, les camionneurs qui persistent dans la profession adorent leur boulot. Patrick Joubert, de VTL Transport, vit cinq jours sur sept dans son camion, équipé de la télé satellite et d'un four micro-ondes. Il ne fait plus de cas de l'attitude parfois désagréable des douaniers américains.

«Parfois, on se fait regarder comme des bandits par les douaniers, dit-il. Ils répètent la même question à la fin pour être sûrs que je réponde la même chose qu'au début. Mais, en général, ça va bien.»