Si l'effondrement du marché américain de l'habitation a provoqué la fermeture de plusieurs scieries au Québec, on oublie qu'il a aussi ralenti l'industrie du camionnage.

La production de bois d'oeuvre a diminué de moitié au cours de la dernière décennie, celle des pâtes et papier du tiers et les expéditions vers les États-Unis de 40%. En 1999, déjà un camion sur trois roulait sans charge. C'est sans doute beaucoup plus aujourd'hui.

«Les effets sur les transporteurs que sont le camionnage (autour de 50% à 55% du volume) et le chemin de fer (environ 40%) ont été vivement ressentis et l'on a observé une baisse de l'emploi salarié pour la même période», constate l'économiste Joëlle Noreau. Elle signe un imposant dossier sur l'industrie du transport de marchandises, et du camionnage en particulier, dans le numéro printanier de Perspective, la revue d'analyse économique du Mouvement Desjardins, qui paraît aujourd'hui.

Mme Noreau s'est attelée à la tâche difficile d'organiser en un tout cohérent des données éparpillées afin de brosser un tableau de cette industrie essentielle, même dans un monde où le virtuel gagne du terrain sur le matériel.

De tous les modes de transport de biens, le camionnage offre des avantages incomparables, car il reste un rouage incontournable de l'intermodalité. «Le camion est en lien avec tous les autres modes en raison de la flexibilité qu'il offre, écrit-elle. Il présente aussi des avantages quant à la rapidité et aux coûts.»

Il facilite la fabrication en mode juste à temps.

Les données officielles sont trompeuses et sous-estiment son importance. Statistique Canada ne capte que l'activité réalisée par les firmes pour le compte d'autrui, ce qui place le transport maritime comme le plus important. «Bon nombre de sociétés font du camionnage sans pour autant être considérées comme telles puisque leur activité principale se déroule dans un autre secteur, note avec justesse Mme Noreau. L'alimentation, la quincaillerie et la vente de meubles sont de bons exemples de ce type d'entreprises qui font de la livraison pour leur propre compte.»

En en tenant compte, elle estime que le tonnage transporté par camion est plus de trois fois plus grand que celui qui arrive par cargo.

Les quelque 43 000 exploitants d'un parc de plus de 137 000 véhicules en 2008 sillonnent le Québec, le reste du Canada et l'est des États-Unis. Ils traversent la frontière à Lacolle et, dans une moindre mesure, à Frelighsburg.

La baisse des livraisons de bois et l'augmentation des importations en provenance des États-Unis, jumelées au temps d'attente aux douanes, aux infrastructures routières souvent mal en point, à la congestion quasi permanente de certaines voies stratégiques posent des défis inédits d'efficacité, de sécurité et de rentabilité à cette industrie morcelée.

À cela s'ajoute les pressions grandissantes pour le respect de l'environnement. On exige une plus grande efficacité des moteurs, la limitation des marches au ralenti pourtant imposées par la congestion ou l'attente aux postes-frontières, la réduction des gaz à effets de serre. Cela nécessite de la technologie, de la formation.

La conciliation des horaires des différentes entreprises expéditrices et réceptrices alors que se complexifie la réglementation des provinces canadiennes et des États américains en matière de charge maximale par exemple gruge aussi la rentabilité de l'industrie.

Voilà pourquoi les activités de soutien au transport occupent de plus en plus de place: l'emballage, l'entreposage, la traçabilité des expéditions, le tracé des routes, le chargement et le déchargement des cargaisons, l'entretien et la réparation occupent désormais 20% de l'effectif lié au transport des marchandises.

Le camionnage doit surtout surmonter son problème de recrutement, compte tenu de sa main-d'oeuvre vieillissante. Déjà en 2003, 35% de la main-d'oeuvre de l'industrie avait plus de 50 ans.

Qui plus est, la rémunération hebdomadaire dans le camionnage est inférieure à celle de l'industrie du transport. Seule la messagerie paye moins.

Beaucoup de camionneurs sont de surcroît propriétaires de leur véhicule, un gros investissement à financer et à amortir.

«La situation actuelle forcera-t-elle des changements dans la rémunération des chauffeurs qui sont payés au mille? demande l'économiste. Dans un contexte de pénurie de main-d'oeuvre appréhendée, comment concilier cette façon de faire avec l'attrait que doit présenter le secteur pour un travail éventuel?»