Un rapport publié récemment par le Conference Board du Canada prévoit que le déficit annuel du Québec pourrait atteindre 45 milliards d'ici 20 ans et que la dette publique pourrait alors dépasser les 575 milliards, un niveau d'endettement comparable à celui de certains pays d'Europe qui font la manchette depuis quelque temps. Parallèlement, on estime à environ 11 milliards le coût des projets en transports en cours ou à l'étude dans la grande région de Montréal. On a beau s'impatienter devant la congestion routière et préconiser les transports en commun, a-t-on vraiment les moyens de réaliser tous ces projets? Sont-ils tous nécessaires? Existe-t-il des solutions de rechange moins coûteuses?

Dans son plan stratégique 2008-2012, le ministère des Transports du Québec prévoit consacrer 80% de ses investissements à la conservation des actifs, soit l'entretien du réseau routier et le remplacement des équipements comme les voitures du métro de Montréal. Il ne reste que 20% des budgets pour l'amélioration et la création de nouvelles infrastructures, ce qu'on appelle les projets. Puisqu'on ne peut pas reporter davantage l'entretien et le remplacement des équipements ayant atteint et même dépassé leur vie utile comme l'échangeur Turcot, il reste peu de marge de manoeuvre pour de nouveaux projets. Il faut donc les examiner soigneusement.

Un tramway nommé Désir

Le rêve Dans son plan de transport 2008, la Ville de Montréal propose 21 chantiers dont le coût dépasse les 5 milliards sur une période de 10 ans. Ce plan donne la priorité à l'implantation d'un réseau de tramways au centre de l'agglomération. Une première ligne formerait une boucle desservant le centre des affaires, le Havre de Montréal, le Vieux-Montréal, le nouveau CHUM, l'UQAM, le Quartier des spectacles et le Quartier international. Ce réseau serait prolongé sur les axes du chemin de la Côte-des-Neiges et de l'avenue du Parc. Coût estimé du projet en 2008: près de 1 milliard.

La réalité On s'inspire beaucoup de l'expérience étrangère pour vanter les mérites du tramway. Or, en France, les tramways visent à relier les communes ou agglomérations de banlieue aux principaux pôles d'attraction des villes. En ce sens, les tramways français s'apparentent davantage à nos services de trains de banlieue. Il n'y a pas de tramways qui exécutent des boucles au centre des villes! Au contraire, ce sont des navettes de bus électriques qui jouent ce rôle à l'intérieur du centre-ville. C'est le cas notamment à Bordeaux qui possède pourtant un important réseau de tramways reliant les banlieues au centre-ville. C'est le cas également à Québec qui offre un service de bus électrique appelé Écolobus.

La grande région de Montréal possède déjà un réseau étendu de trains de banlieue qui connaît beaucoup de succès et dont la capacité devra être augmentée. Il sera également complété par l'ajout du train de l'Est reliant les villes de Mascouche, Terrebonne et Repentigny au centre-ville de Montréal en desservant au passage les arrondissements de l'est de Montréal. Il s'agit d'un projet en cours de réalisation et évalué à 435 millions. Si l'on veut améliorer les transports en commun au centre-ville et sur les axes du chemin de la Côte-des-Neiges et de l'avenue du Parc, on devrait envisager la mise en place de navettes (bus) électriques ou de services rapides par bus (SRB) dont le coût s'élève à 5 millions/km avant d'entreprendre l'aménagement de réseaux de tramways dont le coût s'élève à 40 millions/km.

Une navette ferroviaire «dédiée»

Le rêve La société Aéroports de Montréal (ADM) propose de relier l'aéroport Trudeau au centre-ville de Montréal avec un service de navette ferroviaire «dédiée» aux voyageurs, sans escale avec des départs aux 20 minutes. Coût du projet: de 600 millions à plus de 1 milliard selon les sources. Le gouvernement du Québec s'est déjà engagé à contribuer 200 millions de dollars à ce projet.

La réalité Il y a deux façons de relier un aéroport au centre-ville avec une liaison ferroviaire: une desserte «dédiée», ce que propose ADM, et un réseau de trains de banlieue, que propose l'Agence métropolitaine de transport (AMT). Une desserte «dédiée» offre certes plusieurs avantages (rapidité, confort des passagers), mais elle est très coûteuse à implanter et à exploiter, ce qui implique qu'elle doit servir un nombre d'usagers très important. Or, la plupart des grandes capitales de ce monde n'ont pas un trafic passager suffisant pour justifier une desserte exclusive. Elles optent plutôt pour une desserte intégrée à un réseau de trains de banlieue. À Vancouver, la nouvelle navette ferroviaire appelée Canada Line est un service de type «train de banlieue» comportant pas moins de 14 stations entre l'aéroport et le centre-ville.

Une étude récente portant sur les conditions de succès des dessertes ferroviaires partout dans le monde indique clairement que leur affluence augmente en fonction de la distance séparant l'aéroport du centre-ville. Or, l'aéroport Trudeau est relativement près du centre-ville, ce qui rend les autres moyens de transport, taxi et autobus, attrayants. De plus, la majorité des usagers n'habitent pas le centre-ville et il est loin d'être évident que les visiteurs utiliseront la navette pour se rendre à leur destination finale.

Il est certes souhaitable de faire progresser les transports en commun pour préserver l'environnement. Mais il existe plusieurs formes de transports en commun. Dans le cadre des travaux de reconstruction de l'échangeur Turcot, on prévoit l'aménagement d'une voie réservée aux transports en commun (autobus, taxis, covoiturage) dans l'axe centre-ville - aéroport sur l'autoroute 20. Cela représente une solution pragmatique et économique à la desserte de l'aéroport et de l'Ouest-de-l'Île.

En terminant, ces deux exemples de projets illustrent la nécessité de produire des études indépendantes démontrant leur rentabilité financière et sociale avant d'aller de l'avant. Dans tous les cas, des solutions de rechange moins coûteuses devraient être sérieusement envisagées. Il y a sans doute des projets plus rentables et utiles où investir 1 milliard de dollars, que ce soit dans le domaine des transports en commun (voies réservées aux autobus, trains de banlieue), de l'éducation ou de la santé.

L'auteur est professeur titulaire au service de l'enseignement de la gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal. Il est également directeur du groupe de recherche Chaîne sur la gestion de la chaîne logistique ainsi que directeur du Carrefour logistique, forum regroupant des cadres supérieurs de l'industrie et des spécialistes de la logistique à HEC Montréal.