Le Gautrain, c'est le plus important système de train rapide jamais construit en Afrique. Bombardier a mis les bouchées doubles pour le lancer avant la Coupe du monde, pour que les fanas de soccer s'y engouffrent. Mais les Sud-Africains monteront-ils à bord?

À l'angle des rues West et Rivonia, dans le quartier des affaires de Sandton, des travailleurs s'échinent dans la poussière et le vacarme des scies, des marteaux et des pelles mécaniques. Tout près du chantier, des ouvriers fourbus dorment sur le plateau de camionnettes garées sous une allée d'arbres, en attendant que commence leur quart de travail.Nuit et jour ils triment dur. La nouvelle gare de train de Sandton, à quelques enjambées du square Nelson Mandela, est loin d'être achevée. Pourtant, il ne reste plus qu'une semaine avant que le président Jacob Zuma ne vienne l'inaugurer.

L'Afrique du Sud s'est offert le plus important réseau de train rapide du continent, deux liaisons totalisant 80 km de voies ferrées. Construit de zéro, le Gautrain - qui tire son nom de la province de Gauteng - sera complété en 2011. Mais déjà, la facture originale a grimpé avec les dépassements de coûts. Elle frise maintenant les 3,5 milliards US.

Samedi prochain, Bombardier et ses partenaires du consortium Bombela donneront le sifflet de départ du train rapide sur le corridor est-ouest, qui relie l'aéroport international OR Tambo à Sandton, une banlieue chic du nord de Johannesburg. Avec le lancement du Gautrain à six jours de l'ouverture de la Coupe du monde, Bombela a confondu les sceptiques.

«C'est la preuve que, quand l'Afrique du Sud s'y met, elle peut tout réussir», croit Dave Barry, vice-président, Gautrain, chez Bombardier Transport. Au plus fort des travaux, quelque 10 000 ouvriers travaillaient sur ce réseau qui compte 15 kilomètres de tunnels uniquement entre les stations urbaines de Sandton et de Malboro. Aujourd'hui, ils sont 8000.

L'Afrique du Sud a lancé un appel d'offres pour la construction d'un système de train interurbain bien avant que la nation arc-en-ciel ne soit sélectionnée pour accueillir le Mundial. Mais il était inconcevable pour Bombardier de rater ce rendez-vous, alors que toute les caméras seront braquées sur l'Afrique du Sud.

L'entreprise montréalaise a mis les bouchées doubles pour rattraper un retard de quatre mois. La province de Gauteng a tardé à exproprier les propriétaires où passent les voies. Pis, les terrains n'ont pas été remis dans la bonne séquence à Bouygues Travaux Publics et à Murray&Roberts, les firmes d'ingénierie civile associées à Bombardier.

L'Afrique du Sud attend près de 375 000 visiteurs pour la Coupe du monde. «Nous ne sommes pas du genre à laisser un client en difficulté», dit André Navarri, président et chef de l'exploitation de Bombardier Transport, joint à Berlin.

À leur sortie de l'aéroport de Johannesburg, les voyageurs mettront seulement 14 minutes pour gagner Sandton à bord du Gautrain, un train effilé aux lignes dorées qui file à 160 km/h. Ils éviteront ainsi une longue course en taxi, surtout que les voies rapides qui ceignent la métropole semblent perpétuellement congestionnées.

Le trajet entre Johannesburg, la capitale économique, et Pretoria, la capitale politique, ne prendra lui que 42 minutes. La mise en service du corridor nord-sud, attendue en 2011, sera une libération pour les automobilistes, qui perdent un temps fou sur la route la plus achalandée au pays - ils sont 300 000 par jour sur semaine, en moyenne.

Avec ce nouveau système ferroviaire, les transports publics de l'Afrique du Sud, dans un état de délabrement généralisé, font leur entrée dans la modernité. De quoi faire oublier les critiques qui ont entouré ce projet ces dernières années.

«C'était clair dès le départ que ce train est destiné aux riches banlieusards qui utilisent leur voiture. Les billets seront inaccessibles pour la majorité des Sud-Africains, déplore Patrick Craven, porte-parole national du COSATU, une puissante organisation qui chapeaute 21 syndicats auxquels 2 millions de travailleurs adhèrent.

«Cet argent aurait mieux été dépensé dans la mise à niveau des infrastructures existantes», poursuit-il, en regardant du haut du siège social de COSATU, dans le quartier de Braamfontein, les voies ferrées qui partent de Park Station, la gare centrale. Une grève a immobilisé de vieux trains rongés par la rouille.

«Lorsqu'un gouvernement dépense, il y a toujours quelqu'un qui pense que l'argent devrait être investi ailleurs. Surtout lorsque tant de Sud-Africains n'ont pas d'électricité ou d'eau courante, dit Dave Barry. Mais sans infrastructures, vous n'aurez pas de croissance ni de création d'emplois.»

Un billet aller-simple pour la navette de l'aéroport, plus luxueuse, coûtera 100 rands, soit près de 14$. En revanche, un ticket permettant de parcourir une ou deux stations en ville coûtera entre 16,5 et 21 rands (2,20$ et 2,90$).

Ces trains urbains qui comptent plus de sièges sont moins aérés. L'allée centrale est d'ailleurs si étroite que les personnes corpulentes devront marcher de biais. C'est le gouvernement de Gauteng qui aurait réclamé pareille configuration, d'après nos informations. En revanche, ce train est nettement plus confortable que les taxis collectifs, le moyen de transport le plus populaire de Johannesburg!

Encore faudra-t-il convaincre les habitants de Jo'burg de troquer leur voiture pour le train, qui a mauvaise réputation. «Le réseau actuel est si délabré qu'il arrive que des usagers frustrés mettent le feu aux voitures», raconte Dave Barry.

L'attachement à la voiture est fort dans ce pays où tous vivent dans la crainte de se faire attaquer. «Pour nombre d'automobilistes, il est impensable de voyager en train», note Dave Barry, un grand Irlandais qui se faufile dans la circulation sur sa moto.

Le consortium Bombela a donc pris les grands moyens pour rassurer les Sud-Africains. Stationnements entourés de hautes clôtures coiffées de barbelés. Caméras de sécurité dans les stations et les trains.

Ainsi, même si le réseau ne sera pas intégralement ouvert avant l'an prochain, la Régie autonome des transports parisiens (RATP), à qui l'exploitation du Gautrain a été confiée, a recruté 400 agents de sécurité. C'est plus que le nécessaire, selon Dave Barry.

«Il sera d'une importance cruciale d'instaurer un sentiment de sécurité au cours des deux premières années», dit Dave Barry. Bombardier espère que le cinquième des automobilistes qui circulent sur l'autoroute entre Johannesburg et Pretoria se convertiront au train.

Les premiers mois du Gautrain seront donc déterminants pour ce système qui a été conçu pour accueillir 10 0000 passagers par jour. D'autant qu'avec ce projet financé en partenariat public-privé, Bombardier récoltera 17% des bénéfices, sa part du consortium. Ou le sixième des pertes...

Le Gautrain en bref...

> Consortium: Bombardier Transport, Bouygues Travaux Publics, Murray & Roberts, Strategic Partners Group

> Valeur du contrat: 3,3 milliards US lors de son attribution en 2006, mais les dépassements de coûts sont estimés à 200 millions US. La part de Bombardier s'élève à 1,7 milliard US (incluant un contrat de maintenance de 15 ans).

> Matériel: 96 voitures Electrostar

> Réseau: deux lignes totalisant 80 km

> Vitesse de pointe: 160 km/h