Les 22 300 syndiqués d'Air Canada (T.AC.B) doivent s'attendre à faire de nouvelles concessions au cours des prochains mois pour éviter au transporteur de se placer sous la protection de la loi des faillites.

C'est en gros le message qu'a voulu envoyer l'entreprise à ses travailleurs, hier, en nommant un nouveau PDG reconnu pour son aptitude à «réduire les coûts», estiment des experts. Calin Rovinescu, qui remplace Montie Brewer, a en effet supervisé la restructuration quand Air Canada a frôlé la faillite en 2003.

 

«C'est un signal aux syndicats et au autres parties concernées qu'il vaut mieux travailler comme une équipe, sans quoi Air Canada pourrait devoir se protéger de la faillite encore une fois», dit Karl Moore, professeur de gestion à l'Université McGill, qui suit de près les activités de l'entreprise.

La situation d'Air Canada est de plus en plus précaire. Le transporteur montréalais a perdu 1,03 milliard de dollars l'an dernier. Le déficit de ses régimes de retraite a explosé, à 3,2 milliards. Et il pourrait être incapable de respecter certaines conditions liées à ses prêts dès cette semaine, dont celle de maintenir des liquidités minimales de 900 millions à la fin de chaque mois, estime Jacques Kavafian, de la firme Research Capital.

Selon l'analyste, la nomination de Calin Rovinescu apparaît logique dans un contexte où la société cherche à se protéger de ses créanciers. M. Kavafian a recommandé hier aux investisseurs de vendre leurs actions d'Air Canada pour se rabattre sur celles de son concurrent WestJet.

Tout ce brasse-camarade a fait plonger le titre d'Air Canada en Bourse. L'action a perdu 23% de sa valeur à Toronto, pour clôturer à 89 cents. Le recul atteint 91% depuis un an.

Les prochaines semaines s'annoncent cruciales pour le nouveau grand patron Calin Rovinescu. Dans un communiqué, il a reconnu s'attendre à devoir «affronter de grandes difficultés» dans une industrie frappée de plein fouet par la récession mondiale. Il aura un nouveau bras droit pour abattre cette tâche: Air Canada a annoncé en fin de journée la nomination de Duncan Dee au poste de vice-président général et chef de l'exploitation, en remplacement de Bill Bredt.

»Cercle vicieux»

Le transporteur, chapeauté par Ace Aviation, s'est déjà départi de plusieurs filiales lucratives ces dernières années, dont Aéroplan, Jazz et les services techniques ACTS. Pour réduire encore ses coûts d'exploitation, l'entreprise pourrait abolir ou réduire la fréquence de certaines liaisons vers de petites villes canadiennes, estime Joseph D'Cruz, spécialiste de l'aviation à l'Université de Toronto.

Air Canada doit en outre s'attendre à vivre des problèmes de relations de travail au cours des prochains mois, poursuit l'expert. Les conventions collectives de tous les syndiqués arrivent à échéance à la fin juin et rien n'est encore réglé. L'entreprise pourrait se trouver prise dans un «cercle vicieux», selon lui.

«Si Air Canada a des problèmes de main-d'oeuvre, le service à la clientèle va écoper et, en conséquence, de plus en plus de gens vont se tourner vers WestJet, dont le service à la clientèle a bonne réputation, avance M. D'Cruz. Et si les clients quittent vers WestJet, le coefficient d'occupation d'Air Canada va baisser, ce qui augmentera encore plus ses problèmes financiers.»

Les employés en veulent à la direction d'avoir fait une «vente de feu» des meilleurs actifs d'Air Canada au cours des dernières années. Selon Serge Beaulieu, porte-parole de l'Association des pilotes, cette «décapitalisation extrême» s'est faite sur le dos des travailleurs, tandis que les dirigeants et actionnaires se sont partagé des centaines de millions de dollars.

«Normalement, dans une compagnie équilibrée, on prend soin raisonnablement des actionnaires, mais aussi des employés», a-t-il lancé.

Les machinistes se disent pour leur part «inquiets» de l'arrivée de Calin Rovinescu, qui a pris tout le monde par surprise hier. «Ce n'est pas de bon augure pour nous autres», a fait valoir Marcel St-Jean, qui représente 3600 employés techniques au Québec.

Katherine Thompson, la nouvelle présidente du syndicat des agents de bord, a de son côté reçu favorablement la nomination de M. Rovinescu. Mais ses membres demeurent déterminés à demander des «améliorations» à leurs conditions de travail ce printemps. «Nous n'accepterons pas des concessions permanentes pour affronter un ralentissement temporaire.»

Calin Rovinescu doit entrer en poste dès aujourd'hui. Il a refusé d'accorder des entrevues, hier.

 

Les maux d'Air Canada

Des régimes de retraite à combler.

La concurrence de WestJet sur le marché intérieur.

Les conventions collectives de 22 300 syndiqués à renouveler.

Une industrie frappée par la récession.

Un mécontentement d'une part de sa clientèle.