Une enquête européenne sur les faibles impôts payés par Apple en Irlande fait monter la pression sur Dublin, poussée à revoir le cadre fiscal qu'elle offre aux entreprises au moment où le pays sort enfin de la crise économique.

Coïncidence, le gouvernement irlandais va présenter son budget annuel mardi prochain, et l'attention se portera sur le moindre changement apporté par Dublin à son système fiscal.

Les autorités irlandaises et les dirigeants du géant informatique américain affirment main sur le coeur que leur accord sur les impôts payés par Apple pour son siège européen, situé en Irlande, ne constitue en rien une aide d'État déguisée.

Reste que l'enquête de la Commission européenne a remis sous le feu des projecteurs les règles sur les entreprises de l'Irlande, déjà traitée de paradis fiscal pendant des auditions sénatoriales aux États-Unis et régulièrement critiquées par les autres pays européens.

Bruxelles pointe en particulier des accords passés entre Apple et l'administration fiscale irlandaise en 1991, et amendés en 2007, reprochant à Dublin d'avoir «négocié» un compromis trop favorable au géant américain.

Mais Apple martèle n'avoir reçu aucun traitement de faveur et cette investigation suscite aussi l'agacement au sein de l'ex-»tigre celtique», qui a attiré de nombreux investisseurs importants ces dernières décennies.

«Le gouvernement marche sur des oeufs, il doit apaiser la communauté internationale tout en demeurant un havre hospitalier pour l'investissement international», a écrit l'éditorialiste Ian Kehoe dans les colonnes du Sunday Business Post. «Des changements interviendront via le budget», a-t-il ajouté.

Si évolutions il y a, les chances sont extrêmement minces qu'elles concernent le taux d'impôt sur les sociétés, fixé au sacro-saint niveau de 12,5 %, fustigé comme trop bas par de nombreux pays européens dont la France mais qui constitue un pilier de la politique économique irlandaise.

Un certain consensus existe en effet au sein de la classe politique irlandaise pour conserver ce taux inchangé et la discussion concerne plutôt ses modalités d'application.

«Le débat porte sur la manière dont l'administration fiscale des entreprises interagit avec les grandes multinationales qui, par nature, cherchent à diminuer le montant d'impôt qu'elles règlent à travers le monde», souligne Michael McGrath, porte-parole du parti d'opposition Fianna Fáil (centre-droit).

285 000 emplois

Pendant des auditions au Sénat américain, les dirigeants d'Apple ont reconnu ne payer qu'un taux d'impôt effectif de 2 % en Irlande. Une des filiales irlandaises de la marque à la pomme n'a même payé que 10 millions de dollars (7,8 millions d'euros) sur un chiffre d'affaires de 22 milliards de dollars en 2011.

Les estimations sur les montants qu'Apple devrait devoir finalement payer à Dublin pour ces années d'aubaine varient de quelques millions à plusieurs milliards d'euros.

D'après Seamus Coffey, expert des questions fiscales à l'Université de Cork qui penche pour la première hypothèse, «les milliards évoqués font référence à la propriété intellectuelle d'Apple, qui n'est pas basée en Irlande».

Les droits de propriété intellectuelle d'Apple (marque, design et brevets) sont basés ailleurs et vendus aux filiales du groupe. En vertu de ce schéma, une filiale basée en Irlande peut déduire de ses impôts à déclarer dans ce pays le montant versé pour ces droits.

Le mois dernier, l'OCDE a appelé Dublin à mettre un terme à une faille de son système fiscal, surnommé péjorativement le «Double Irish» (le «double Irlandais») - une méthode utilisée par des multinationales américaines pour faire enregistrer leurs profits dans des paradis fiscaux via l'Irlande.

Mais le ministre des Finances irlandais, Michael Noonan, jure que l'Irlande n'a «rien à craindre» des propositions de l'OCDE visant à réduire l'évasion fiscale internationale.

M. McGrath considère lui aussi que Dublin ne doit pas répondre à chaud aux questions soulevées par l'enquête sur Apple.

«On ne doit pas paniquer en annonçant des changements unilatéraux qui pourraient endommager l'offre fiscale de l'Irlande à destination des entreprises, qui représente après tout un élément essentiel de notre stratégie pour attirer des investissements étrangers», rappelle-t-il.

Plus d'un millier de multinationales sont installées en Irlande où elles emploient plus de 285 000 personnes directement ou indirectement, dans un pays de 4,5 millions d'habitants.

L'installation sur place d'Apple en 1980 a été suivie par celles d'autres géants de la Silicon Valley comme Google, Facebook, eBay et Twitter.

«Les entreprises multinationales n'aiment pas l'incertitude», prévient Jim Stewart, professeur de finances à l'université Trinity College de Dublin.