Le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) vient d'ordonner le blocage judiciaire d'une mine de cryptomonnaies de la région de Québec, qui avait été la cible l'année dernière d'une spectaculaire tentative de vol lors de laquelle ses propriétaires avaient été ligotés et aspergés d'eau de Javel.

L'Autorité des marchés financiers (AMF) reproche à Technologies Crypto et à ses propriétaires, David Fortin-Dominguez et Samory Proulx-Oloko, d'avoir sollicité les investissements du public sans détenir le titre de courtiers en valeurs mobilières ou avoir eu les prospectus requis par la loi.

Le tribunal administratif a ordonné plus tôt cette semaine que tout l'équipement de minage de Technologies Crypto, qui vaut environ 1,5 million de dollars, soit bloqué, de même que tous les comptes bancaires de l'entreprise. « Il est à craindre que les intimés poursuivent leurs illicites activités et dilapident l'argent qu'ils ont déjà illégalement recueilli auprès du public investisseur », plaidaient les procureurs de l'AMF.

Il s'agit d'une toute première décision du genre visant une mine de cryptomonnaie au Québec.

Ces entreprises, où tournent en permanence des centaines d'ordinateurs spécialisés, contribuent au processus de validation des transactions en cryptomonnaies réalisées partout dans le monde. En échange de cet effort gourmand en électricité, les propriétaires de ces ordinateurs récoltent des récompenses en cryptomonnaies qui sont distribuées en fonction d'un protocole clairement établi dans le code informatique de la monnaie virtuelle.

Ce procédé, appelé « minage », est potentiellement très lucratif, si bien que des centaines d'investisseurs de partout dans le monde ont sollicité Hydro-Québec l'an dernier pour obtenir des tarifs préférentiels.

Selon l'enquête menée par l'AMF, Technologies Crypto proposait aux investisseurs un placement « clés en main » qui leur permettait de tirer une partie des revenus d'opérations de minage de l'entreprise, moins 15 % de frais prélevés directement dans leurs revenus.

L'absence totale de contrôleur qu'avaient ces investisseurs sur le choix des cryptomonnaies minées et sur d'autres décisions d'entreprise faisait d'eux des investisseurs « passifs », estime le tribunal, qui conclut que le placement s'apparentait à une « valeur mobilière » dont la vente est strictement réglementée.

Les propriétaires de Technologies Crypto n'ont pas rappelé La Presse. Ils n'ont pas contesté en cour la preuve déposée par les procureurs de l'AMF. Le résumé du rapport d'enquête permet de croire que certains investisseurs ont perdu beaucoup d'argent dans l'aventure. « Certains investisseurs auraient vu leur investissement partiellement remboursé par les intimés alors que d'autres auraient perdu tout contact avec [eux] et seraient sans nouvelles quant à leur investissement. Certains investisseurs auraient même été faussement informés qu'un incendie avait largement endommagé un bâtiment abritant le parc d'équipements informatiques et [...] essentiellement détruit une bonne partie de son contenu », lit-on dans la décision.

En mars dernier, la mine de Technologies Crytpo avait fait la manchette lorsqu'un groupe de voleurs plutôt malhabiles s'y était présenté pour voler l'équipement. M. Fortin-Dominguez et son frère avaient alors été ligotés et aspergés d'eau de Javel par leurs ravisseurs. Mais ceux-ci ont été arrêtés rapidement par les policiers après s'être enfuis avec une partie de l'équipement dans une camionnette louée quelques jours auparavant avec une carte de crédit au nom d'un des voleurs.

La décision du tribunal de l'AMF a semé une certaine inquiétude parmi les mineurs de cryptomonnaies, qui sont nombreux à se regrouper en « pool » et à installer leur équipement dans des centres de colocation pour partager les frais d'exploitation.

« Je vois parfois des sites web qui sollicitent les gens pour investir dans ce genre d'installation, mais la plupart du temps, on fait ça entre nous ; il n'y a pas de sollicitation et pas nécessaire d'argent d'impliqué », indique Martial Desautels, responsable d'un forum spécialisé sur Facebook.

Un homme d'affaires impliqué dans une « ferme de minage » de taille moyenne, qui a requis l'anonymat pour ne pas attirer l'attention sur son entreprise, affirme pour sa part avoir cherché des partenaires financiers pour son projet, mais est plutôt passé par un cabinet d'avocats qui sollicitait en son nom uniquement les « investisseurs qualifiés » à qui il n'est pas obligatoire d'émettre des prospectus.

L'ordonnance de bloquage visant Technologies Crypto et ses activités est valable pour une durée de 12 mois.