Un comptable peut-il dénoncer un crime ou une irrégularité financière d'un client aux autorités réglementaires ? Invoquant le secret professionnel, l'Ordre des comptables professionnels agréés (CPA) du Québec s'adresse aux tribunaux afin d'empêcher les comptables de profiter de la confidentialité du programme de dénonciation de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Dans une requête déposée en Cour supérieure le 17 juillet dernier, l'Ordre des CPA demande de faire déclarer inconstitutionnel un nouvel article de loi assurant la protection et la confidentialité aux lanceurs d'alerte à l'AMF. L'article 17.0.1 de la Loi sur l'Autorité des marchés financiers précise que cette dernière « doit prendre toutes les mesures afin de s'assurer que l'anonymat » du lanceur d'alerte « soit préservé ». En raison de leur secret professionnel, les avocats et les notaires sont expressément exclus du programme de dénonciation de l'AMF, selon la loi.

Or, l'Ordre des CPA fait valoir que les comptables devraient être traités de la même façon que les avocats et les notaires en raison de leur obligation de secret professionnel. L'Ordre des CPA a demandé sans succès de faire modifier le projet de loi pour exclure les comptables du programme de dénonciation. Il a ensuite choisi de poursuivre le gouvernement du Québec et l'AMF afin de faire déclarer l'article de loi inconstitutionnel et inopérant pour les comptables.

L'Ordre des CPA n'a pas voulu commenter le dossier, mais indique avoir déposé cette requête « vu l'importance de protéger adéquatement le secret professionnel dans le but d'assurer la protection du public ». Dans sa requête en jugement déclaratoire, l'Ordre des CPA estime que « le lien de confiance entre un client et son CPA est essentiel à la protection du public » et que le secret professionnel du CPA « est un droit quasi constitutionnel » garanti par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Le cabinet du ministre des Finances du Québec Carlos Leitão - le ministre responsable du projet de loi et de l'AMF - n'a pas commenté le dossier au motif qu'il est devant les tribunaux. L'AMF n'a pas commenté le litige pour le même motif.

DÉNONCIATION VOLONTAIRE

Détail important : le nouvel article de loi n'impose pas l'obligation aux comptables ou à quiconque de dénoncer un client en cas de violation des lois financières. Le programme de dénonciation de l'AMF est volontaire : toute personne (sauf un avocat ou un notaire, qui en sont exclus) décide elle-même de faire une dénonciation. À titre d'exemple, un lanceur d'alerte pourrait prévenir l'AMF d'une possible fraude financière ou encore d'un possible délit d'initié dans une société inscrite en Bourse.

Le programme de dénonciation de l'AMF a été mis sur pied en juin 2016. Il a été bonifié, notamment sur la question de la confidentialité, par le projet de loi adopté en juin dernier.

LE SECRET PROFESSIONNEL DU COMPTABLE N'EST PAS ABSOLU

Dans sa requête, l'Ordre des CPA reconnaît que le secret professionnel d'un comptable n'est pas absolu et qu'un comptable peut avoir à dénoncer son client en certaines circonstances.

Selon sa requête, l'Ordre des CPA « ne fait pas objection à ce qu'une dénonciation puisse être faite en accroc à l'obligation au secret professionnel du CPA, mais cela dans les cas où la gravité objective et les conséquences préjudiciables le justifient véritablement aux fins de la protection du public et selon un encadrement favorisant d'abord une dénonciation à l'interne ».

L'Ordre des CPA n'a pas voulu préciser à La Presse en quelles circonstances précises un comptable peut faire une dénonciation à l'AMF.

Durant le litige, l'Ordre des CPA a demandé à la Cour supérieure que les comptables soient exclus du programme de dénonciation de l'AMF de façon provisoire. Cette demande en sursis, plaidée le 24 juillet dernier, a été prise en délibéré par le juge Lukasz Granosik.

En 2016, l'Assemblée nationale du Québec a adopté un projet de loi similaire pour les lanceurs d'alerte à l'égard d'organismes publics, et seuls les avocats et les notaires en étaient exclus en raison du secret professionnel. L'Ordre des CPA du Québec n'a pas contesté la constitutionnalité de cette loi adoptée en 2016.

- Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse