La vente de Jarislowsky Fraser à la Banque Scotia suscite beaucoup de réactions. Si le patron de Jarislowsky parle d'un mariage parfait, la Scotia n'était pas le seul acquéreur intéressé par le gestionnaire d'actifs montréalais.

La Scotia et Jarislowsky Fraser ont annoncé hier une entente en vertu de laquelle la troisième banque canadienne en importance, et la plus internationale du groupe, acquiert la firme montréalaise dont l'actif sous gestion s'élève à 40 milliards. Le prix de vente a été fixé à environ 1 milliard de dollars.

« Sans doute que quelqu'un se mord les doigts. Il y a certainement des institutions financières qui regrettent de ne pas avoir été plus agressives dans leurs approches », a commenté le président de Jarislowsky Fraser, Pierre Lapointe.

Sans préciser depuis quand les discussions avec la Scotia se déroulaient, Pierre Lapointe évoque plusieurs mois. « Pendant qu'on discutait avec la Scotia, on s'est concentrés sur eux », a-t-il dit.

« On a reçu beaucoup d'appels depuis 15 ans, mais jamais d'offres formelles. C'est une question de timing à savoir qui est disponible au bon moment. On avait identifié la Scotia comme partenaire idéal. Quand on s'est rencontrés pour discuter, il était clair que c'était notre candidat préféré. Il n'y avait pas beaucoup d'acquéreurs canadiens possibles à part les six grandes banques, des assureurs et quelques autres », a précisé Pierre Lapointe.

« C'est normal qu'on se retrouve avec la Scotia, car c'est aussi bon pour elle que pour nous. »

- Pierre Lapointe

« On veut croître à l'étranger et on voulait un partenaire qui allait nous mettre au premier plan de leur stratégie. On ne voulait pas faire partie d'une organisation qui ne fait qu'acheter des gestionnaires pour croître. Nos partenaires sont ravis, car c'est un mariage parfait. »

Selon nos informations, les grandes banques canadiennes - notamment la Banque Royale et la TD - ainsi que les gestionnaires d'actifs indépendants Fiera Capital, de Montréal, et Financière CI, de Toronto, étaient intéressés par la firme fondée il y a plus de 60 ans.

Si la Financière CI et RBC n'ont pas souhaité commenter le dossier, les autres institutions mentionnées n'ont pas donné suite à nos messages.

« Fiera aurait eu du sens, car la firme est installée au Québec », a commenté l'analyste Scott Chan, chez Canaccord Genuity.

« On n'aurait jamais vendu à ces gens-là [CI et Fiera] parce qu'on voulait être la plateforme principale et non pas un amalgame avec d'autres philosophies de gestion », a dit Pierre Lapointe.

DES CRITIQUES

« Je trouve ça décevant », a lancé le gestionnaire de portefeuille Carl Simard, de la firme Medici. Ce dernier aurait préféré que Stephen Jarislowsky choisisse de céder sa firme à des intérêts québécois.

« Même si le siège social demeurera à Montréal, les décisions se prendront de plus en plus à Toronto, surtout s'ils doivent couper du personnel », dit-il.

« Stephen Jarislowsky a mal préparé sa relève. Pourquoi n'a-t-il pas vendu à sa relève ? demande Carl Simard. C'est le plus désolant de l'histoire. »

« C'est probablement le côté le plus triste », admet Peter Letko, de la firme montréalaise de gestion d'actifs Letko Brosseau.

« Vendre à l'interne n'aurait pas réglé notre problème de croissance. Le volet intéressant de la Scotia est celui international. La banque nous offre des canaux de distribution et des ressources pour passer à la prochaine étape pour développer des nouveaux produits. »

- Pierre Lapointe

« Je suis certain que c'est un moment doux-amer pour Stephen Jarislowsky, a dit Peter Letko. Car vendre la compagnie marque la fin d'un long chemin. Mais je suis très heureux pour lui. La Scotia et les autres banques ont un intérêt naturel envers ce type de sociétés. »

« La valeur nette élevée des clients de Jarislowsky est exactement le type de clientèle recherchée par les banques », a souligné John Aiken, chez Barclays. « Cette transaction renferme du potentiel au niveau des ventes croisées », a ajouté l'analyste.

Pour le premier vice-président, gestion de patrimoine, de la Scotia, Glen Gowland, les activités de Jarislowsky sont « complémentaires », ce qui permettra à la banque de mieux se diversifier, puisque la majorité de ses profits provient de ses activités de détail. « C'est l'élément clé. Nous voulions bonifier notre empreinte du côté institutionnel. »

À la suite de la transaction, la Scotia prend le troisième rang en gestion active au pays avec un actif sous gestion de 166 milliards.

À 92 ans, Stephen Jarislowsky, qui détient la vaste majorité des actions de l'entreprise, recevra principalement des actions de la Scotia, alors que ses 32 associés obtiennent une somme en argent et des actions de la Scotia, souligne Doug Young, chez Desjardins. « La plupart des associés ont accepté d'investir 50 % du montant reçu dans les stratégies de placement de la firme », ajoute l'analyste.

« La Scotia paye cher en sapristi, croit Carl Simard. À 950 millions, c'est l'équivalent d'entre 20 ou 25 fois les bénéfices, et peut-être même un peu plus, alors que la Scotia s'échange à un peu moins de 12 fois ses bénéfices. Les banques sont prêtes à payer cher pour montrer de la croissance. »

« Jarislowsky est une institution à Montréal, a dit Philippe Le Blanc, gestionnaire de portefeuille chez Cote 100. Cette transaction va assurer la pérennité de l'entreprise. »

- Avec la collaboration de Stéphanie Grammond, La Presse, et La Presse canadienne

Jarislowsky Fraser en bref

Siège social : Montréal

Bureaux : Montréal, Toronto, Vancouver, Calgary, New York

Fondateur : Stephen Jarislowsky

Année de fondation : 1955

Actif sous gestion : 40 milliards

Nombre d'associés : 32

Nombre d'employés : 151

Clients : caisses de retraite, fondations, entreprises, individus