Grosse année de changements dans la haute garde bancaire au Canada. En moins d'un an, jusqu'en novembre, quatre des six plus grandes banques canadiennes auront changé de président et chef de la direction.

Durant cette période, aussi, les chefs des principales autorités bancaires au pays ont changé: du gouverneur de la Banque du Canada au ministre fédéral des Finances, en passant par le directeur du Bureau du surintendant des institutions financières (BSFI) et le président de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), garante fédérale de 550 milliards en prêts hypothécaires qui comptent beaucoup dans l'actif des banques.

Parmi les nouveaux grands patrons de banque, le plus récent en poste est Victor Dodig à la CIBC. Lundi dernier, 15 septembre, il a officiellement succédé à Gerald McCaughey, qui était président et chef de la direction depuis neuf ans.

Le prochain en lice? À la Banque Toronto-Dominion (TD), le 1er novembre prochain, Bharat Masrani succédera à Ed Clark comme président et chef de la direction de la plus grande banque canadienne selon l'actif.

Auparavant, c'est la Banque Scotia qui avait amorcé cette série de changements à la haute direction. En novembre 2013, Brian Porter a pris le relais de Rick Waugh qui a été pendant 10 ans président et chef de la direction.

Puis, en août dernier à la Banque Royale, ce fut au tour de David McKay de succéder à Gordon Nixon, qui a été 13 ans à la tête de la première banque canadienne selon la capitalisation boursière (117,9 milliards).

Pourquoi cette série de changements? Simple coïncidence ou coordination de coulisses entre les banques? La réponse complète, si elle existe, ne sera sans doute jamais connue.

N'empêche, quelques facteurs contextuels sont à considérer.

D'abord, tous ces présidents de banque quittent leur fonction après une décennie ou presque en poste, la durée de mandat traditionnelle dans le milieu bancaire au Canada.

Toutefois, ces 10 dernières années n'avaient rien de traditionnel, s'avérant en fait l'une des plus tumultueuses de l'histoire bancaire au Canada.

Les présidents des banques canadiennes ont dû naviguer de l'effervescence économique des premières années du XXIe siècle à la crise financière de 2008, la pire en 75 ans. Cette crise a été suivie de la «grande récession» aux États-Unis et en Europe, dont l'économie mondiale peine encore à s'extirper pour de bon.

Par ailleurs, les quatre banques qui changent de président et chef de la direction à quelques mois d'intervalle le font encore par la promotion interne d'un haut dirigeant, plutôt que d'aller en recrutement à l'externe.

En demeurant ainsi fidèles à leurs traditions, ces banques manquent-elles un peu d'audace? Ou veulent-elles rassurer leurs principales parties prenantes - actionnaires, employés, clients, régulateurs, etc. - envers leur planification et leur gestion d'une transition sans surprise, dans la bonne continuité?

Pour chacune des banques, les réponses à ces questions proviendront sans doute de l'évolution de leurs activités et de leurs résultats d'exploitation au cours des prochaines années.

Contexte différent

Mais de l'avis de banquiers de haut niveau et d'analystes boursiers, le contexte d'affaires de banques canadiennes pour les prochaines années s'annonce moins favorable qu'auparavant pour leurs ambitions de croissance.

À la Banque TD, par exemple, le président sortant, Ed Clark, admettait d'emblée lors d'un entretien récent avec La Presse Affaires que son successeur, M. Masrani, fera face à des «défis particuliers» après son entrée en poste en novembre prochain.

«L'économie canadienne est en croissance ralentie, et les taux d'intérêt s'annoncent très bas encore pour un bon moment. Aussi, la réglementation bancaire est plus exigeante et plus coûteuse à gérer. Pendant ce temps, le secteur bancaire doit s'adapter à la révolution des technologies numériques qui affecte toute l'économie», a expliqué M. Clark.

«Dans ce contexte, la Banque TD a l'avantage d'un modèle d'affaires centré sur sa clientèle qui a démontré sa force au Canada et dans l'est des États-Unis. Néanmoins, ça m'apparaît difficile de s'attendre à ce que la TD, par exemple, puisse multiplier encore sa valeur boursière par cinq d'ici dix années comme elle l'a fait au cours des dix précédentes.»

Parmi les analystes boursiers, aussi, on s'attend à un contexte plus difficile envers les attentes de croissance des résultats des banques.

«Nos perspectives sur le secteur bancaire canadien demeurent positives à moyen terme pour les investisseurs boursiers. Mais ils doivent s'attendre à une période de croissance ralentie à un nombre simple [moins de 10% ] des bénéfices et des dividendes», indiquait Robert Sedram, analyste principal des banques chez Marchés mondiaux CIBC dans une note récente à ses clients-investisseurs.

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Banque CIBC

Actif (au 31 juillet 2014): 405 milliards (Canada et États-Unis surtout)

Effectif: 11 millions de clients et 43 000 employés

Revenu annuel/bénéfice net (2013): 12,7 milliards/3,4 milliards

Capitalisation boursière (au 15 sept. 2014): 42,3 milliards

Nouveau PDG: Victor Dodig, 49 ans, depuis le 15 septembre 2014

Fonction antérieure: vice-président et chef de groupe, gestion des avoirs

Prédécesseur: Gerry McCaughey, 58 ans, en poste durant 9 ans

Rémunération totale annuelle (moyenne en trois ans): 10,1 millions

Principaux défis:

> rehausser la compétitivité et la croissance des activités des marchés financiers et de banque d'investissement, après quelques années de consolidation forcée par la crise financière de 2008

> bonifier la croissance des activités de gestion de patrimoine des particuliers, relativement saturée au Canada, par la recherche et l'acquisition d'actifs ciblés aux États-Unis.

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Banque Toronto-Dominion (TD)

Actif: 921,7 milliards (Canada et côte Est des États-Unis)

Effectif: 22 millions de clients et 78 745 employés

Revenu annuel/bénéfice net: 27,2 milliards/6,5 milliards

Capitalisation boursière (au 15 sept. 2014): 106,2 milliards

Nouveau PDG: Bharat Masrani, 58 ans, à compter du 1er novembre 2014

Fonction antérieure: chef de l'exploitation

Prédécesseur: Ed Clark, 67 ans, en poste durant 12 ans

Rémunération totale annuelle (moyenne en trois ans): 10,9 millions

Principaux défis:

> améliorer l'offre et la productivité des services bancaires sous la marque TD-Canada Trust, déjà considérée l'une des plus fortes au Canada

> améliorer la compétitivité et la productivité de l'important réseau de succursales dans l'est des États-Unis, dans un contexte de faibles taux d'intérêt et de concurrence accrue dans une économie en rebond.

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Banque Royale (RBC)

Actif (au 31 juillet 2014): 913,8 milliards (Canada et États-Unis surtout)

Effectif: 15 millions de clients et 79 000 employés

Revenu annuel/bénéfice net (2013): 30,8 milliards/8,3 milliards

Capitalisation boursière (au 15 sept. 2014): 117,9 milliards

Nouveau PDG: David McKay, 51 ans, depuis août 2014

Fonction antérieure: chef des services bancaires aux particuliers et aux entreprises

Prédécesseur: Gordon Nixon, 57 ans, en poste durant 13 ans

Rémunération totale annuelle (moyenne en trois ans): 12,9 millions

Principaux défis:

> maintenir la croissance et la rentabilité d'une base d'affaires bien diversifiée, mais très concentrée sur l'économie canadienne, prévue en croissance ralentie pour quelques années

> bonifier la croissance et le rendement de la division de gestion de patrimoine des particuliers, la plus grosse parmi les banques canadiennes, malgré un marché plus concurrentiel que jamais auparavant.

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Banque Scotia

Actif (au 31 juillet 2014): 791,5 milliards (Canada et Amérique latine)

Effectif: 21 millions de clients et 83 000 employés

Revenu annuel/bénéfice: 21,6 milliards/6,4 milliards

Capitalisation boursière (au 15 sept. 2014): 88,7 milliards

Nouveau PDG: Brian Porter, 55 ans, depuis le 1er novembre 2013

Fonction antérieure: président adjoint

Prédécesseur: Richard (Rick) Waugh, 66 ans, en poste durant 10 ans

Rémunération totale annuelle (moyenne en trois ans): 10,9 millions

Principaux défis:

> maximiser la productivité des activités bancaires au détail au Canada après l'intégration de la banque virtuelle ING Canada (renommée Tangerine), et en dépit de l'économie canadienne en croissance moindre

> rehausser la croissance et le rendement des importantes activités bancaires au détail en Amérique latine, qui compte pour le quart environ des résultats d'exploitation de la banque (Mexique, Colombie, Pérou et Chili).