De l'avis d'analystes et des investisseurs boursiers, la Banque Laurentienne serait en pénurie de croissance en raison de sa grande dépendance à l'égard du marché des ménages et des consommateurs, qui amorce un cycle baissier.

Conséquence de cette perception: depuis quelques trimestres, la performance boursière des actions de la septième banque au Canada, selon l'actif, est nettement inférieure à celle de l'indice sectoriel des services financiers à la Bourse de Toronto.

Mais selon Réjean Robitaille, président et chef de la direction de la Banque Laurentienne depuis huit ans, cette perception d'une institution financière encore très centrée sur les consommateurs est carrément en retard sur son plan d'affaires.

«En fait, nous convenons avec les analystes que le marché des services bancaires des consommateurs sera limité dans le futur. C'est d'ailleurs pourquoi ce marché n'est plus celui où nous mettons le plus d'accent», indique M. Robitaille au cours d'une entrevue avec La Presse Affaires.

«Nos principales sources de croissance, maintenant, ce sont les services financiers aux PME et notre filiale B2B Banque, qui est spécialisée dans les marchés des milliers de conseillers financiers indépendants au Canada.»

Dans le jargon bancaire, ces types de clientèle sont classés dans la grande catégorie des «marchés commerciaux».

À la Banque Laurentienne, la taille des actifs liés à ces marchés a presque doublé à 5 milliards de dollars depuis 5 ans. Et elle pourrait encore doubler autour des 10 milliards d'ici 5 ans, anticipe M. Robitaille, si les acquisitions et les projets réalisés depuis 2 ans continuent de porter leurs fruits.

Un dividende avantageux

Cet objectif fait d'ailleurs partie du message que le président de la Banque Laurentienne et ses principaux adjoints veulent transmettre aux actionnaires de la banque, ce matin, à l'occasion de leur assemblée annuelle à Montréal.

«Nos actionnaires profitent d'un dividende avantageux [4,4%] mais ils sont sans doute un peu déçus de notre récente performance boursière», a admis Réjean Robitaille en entrevue.

«Le marché boursier semble attendre de voir les résultats de notre croissance dans le secteur commercial, auprès des PME et chez notre filiale B2B Banque. L'exercice 2014 est encore un exercice de transition. Mais ce que je peux dire aussi à nos actionnaires, c'est regardez-nous bien aller en 2015 et 2016!»

Selon M. Robitaille, c'est à ce moment que les résultats de la Banque Laurentienne profiteront enfin de «l'effet de levier» attendu des stratégies des deux dernières années.

Deux grosses acquisitions

Déjà que, même s'il ne représente que 20% de l'actif en prêts de la banque, le secteur dit «commercial» rapporte environ 40% des profits.

Cet «effet de levier» est aussi l'un des principaux motifs derrière l'objectif des hauts dirigeants de la Banque Laurentienne d'en accroître le bénéfice net par action de l'ordre de 5 à 10% par année à partir de l'exercice 2015.

Pour y parvenir, toutefois, la banque devra terminer «avec quelques mois de retard» l'intégration des deux grosses acquisitions réalisées à bref intervalle en 2011 et 2012, afin de grossir substantiellement la filiale B2B.

Il s'agissait des sociétés MRS et Fiducie AGF, spécialisées en services bancaires aux conseilleurs financiers. Elles ont été acquises pour 580 millions en tout auprès des groupes de fonds d'investissement Mackenzie et AGF.

Pour financer ces acquisitions, la Banque Laurentienne avait aussi bénéficié d'un placement privé de 120 millions en capital de la Caisse de dépôt et placement du Québec et du Fonds de solidarité FTQ.

En acquérant ainsi «les numéros deux et trois» de ce secteur, la filiale B2B s'est élevée en tête du marché canadien des conseillers financiers indépendants.

«Après l'achat de MRS et Fiducie AGF, nous commençons à peine à saisir les occasions de croissance dans ce marché», explique Réjean Robitaille.

«Nous sommes passés de 5000 à 27 000 clients partout au Canada. Ces conseillers financiers ont leur propre clientèle qui totalise environ 5,4 millions de comptes. L'actif sous gestion où B2B Banque est impliquée est passé de 3,5 à 29 milliards en quelques années. Ce n'est pas juste des petits chiffres, ça, c'est énorme comme potentiel pour nous.»

Une approche personnalisée

Dans le marché des services aux PME, la Banque Laurentienne mise sur une approche personnalisée et des innovations très ciblées afin de se distinguer de ses grosses concurrentes bancaires.

Un exemple: le développement de crédit-bail avec encours inférieur à 3 millions de dollars afin d'accroître la flexibilité de financement des PME avec leurs équipements d'exploitation.

«Nous voulons faire des choses différemment, en allant dans des marchés qui sont souvent négligés par les autres banques, où nous pouvons avoir un avantage comparatif», souligne Réjean Robitaille.

«Dans une grande banque, une entreprise qui emprunte 10 millions, ce n'est souvent qu'un numéro parmi tant d'autres. Chez nous, c'est un gros client commercial qui mérite une attention particulière, que je rencontre pour voir ses activités et discuter de ses affaires.

«Par exemple, poursuit-il, si un client important a besoin d'une décision rapide sur un financement, nous pouvons convoquer une réunion du comité de crédit, dont je suis membre, à quelques heures d'avis. Cette agilité d'opération et la proximité avec nos clients, ça fait partie de l'ADN de la Banque Laurentienne.»

La filiale boursière Valeurs mobilières Banque Laurentienne (VMBL) a aussi orienté vers les PME ses priorités de financement et de capitalisation d'entreprises dans les marchés financiers.

À ce titre, VMBL organise le 10 avril à Montréal sa première conférence d'investisseurs institutionnels s'intéressant au marché des petites capitalisations boursières.

Une trentaine d'entreprises québécoises et canadiennes sont attendues pour se faire valoir devant une centaine de participants, dont certains supervisent les plus gros portefeuilles d'actions sur la Bourse canadienne.

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D'autres acquisitions en vue

Selon son président, la Banque Laurentienne demeure à l'affût d'occasions d'acquisitions qui pourraient alimenter ses ambitions dans le marché des services aux PME et aux conseillers financiers, la spécialité de sa filiale B2B Banque.

Toutefois, insiste Réjean Robitaille en entrevue, pour qu'une proposition d'acquisition soit attirante, «on se dit tout le temps qu'il faut qu'un plus un égale trois. Il faut aussi que ce soit un projet gagnant-gagnant pour tous: pour le vendeur et l'acquéreur, mais aussi pour la clientèle de l'entreprise acquise et nos actionnaires.

«La Banque Laurentienne a doublé son actif

[à 34 milliards] depuis 7 ans, mais le quart seulement de cette croissance provenait d'acquisitions. Notre objectif, ce n'est pas d'être la plus grosse banque. Nous voulons plutôt être les meilleurs dans les créneaux que nous avons sélectionnés.»

Quant au marché des services bancaires aux ménages et consommateurs, Réjean Robitaille dit que la banque priorise le développement du potentiel de croissance interne plutôt que par acquisitions.

«Nous en avons fait beaucoup, de ça, dans les années 90 à la Banque Laurentienne. Mais nous n'en avons plus besoin maintenant dans le marché des consommateurs», selon son président.

En fait, pour mieux se distinguer de ses grosses concurrentes, la Banque Laurentienne a investi beaucoup dans ses succursales ces dernières années pour en faire des centres de services-conseils. Ces efforts ont porté leurs fruits en croissance des actifs et des revenus liée à sa clientèle centrée dans les régions urbaines de Montréal, Québec, Gatineau et Sherbrooke.

En suivi, la Banque Laurentienne réalise maintenant des efforts particuliers de modernisation et de diversification de son offre de services par l'internet et les téléphones multifonctions.

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LA LAURENTIENNE EN CHIFFRES

(exercice terminé le 31 octobre 2013)

> Actif: 33,9 milliards (+ 53% en 5 ans, 7e banque en taille d'actif au Canada, 34e en Amérique du Nord)

> Effectif (équiv. temps plein): 3987 employés (+ 13% en 5 ans)

> Revenu total: 865,3 millions (+ 30% en 5 ans)

> Bénéfice d'exploitation: 200,6 millions (+ 44% en 5 ans)

> Bénéfice net: 124,7 millions (+ 10% en 5 ans)

> Bénéfice net par action (dilué): 3,99$ (- 5,6% en 5 ans)

> Capitalisation boursière: 1,32 milliard (+ 40% en 5 ans)

> Dividende par action: 1,98$ (+ 45% en 5 ans)

> Rendement boursier total (cours + dividende): + 10% en 2 ans

> Rendement de l'indice financier de la Bourse de Toronto: + 35% en 2 ans

> Principaux actionnaires: Caisse de dépôt et placement du Québec (8,4%), fonds BlackRock (4,6%, San Francisco, Toronto) et Clarington Capital Management (2,3%, Toronto)

SOURCE: BANQUE LAURENTIENNE, BLOOMBERG