La banque Credit Suisse a secrètement et activement recruté des milliers de clients aux États-Unis pour les aider à soustraire des revenus au fisc américain, décrit mardi dans un rapport cinglant une commission d'enquête du Sénat américain.

La publication du rapport conclut deux ans d'enquête parlementaire et intervient à la veille de l'audition très attendue du PDG de Credit Suisse, Brady Dougan, et d'autres dirigeants de la banque mercredi au Sénat.

«L'enquête montre qu'en 2006, Credit Suisse avait plus de 22 000 clients américains avec des comptes suisses dont les avoirs, à leur pic, dépassaient 12 milliards de francs suisses (CHF)», indique le rapport. «Bien que Credit Suisse n'ait pas déterminé ni estimé combien de ces comptes étaient dissimulés aux autorités américaines, les données suggèrent que la grande majorité n'était pas déclarée».

La propre estimation de la commission, fondée sur les données de la banque, se monte à «près de 19 000» clients américains qui détenaient des comptes suisses cachés chez Credit Suisse, les avoirs correspondants se montant à environ 5 milliards de dollars.

«D'au moins 2001 à 2008, Credit Suisse a recruté des clients américains pour qu'ils ouvrent des comptes suisses, et a eu recours à un certain nombre de pratiques bancaires qui ont permis à ses clients américains de dissimuler leurs comptes suisses aux autorités américaines», décrit le rapport.

Parmi les pratiques secrètes: l'envoi de banquiers suisses aux États-Unis pour y trouver des clients, notamment lors d'événements sponsorisés par la banque et de tournois de golf en Floride, la création d'un bureau à New York pour ces activités, et la mise en relation avec des «intermédiaires» capables de créer des entités offshore pour cacher l'origine des fonds.

«Un ancien client a décrit une occasion où un banquier de Credit Suisse s'était rendu aux États-Unis pour le rencontrer à l'hôtel Mandarin Oriental et, au petit-déjeuner, comment celui-ci lui avait donné un relevé bancaire caché dans un magazine Sports Illustrated», écrivent les enquêteurs.

En 2008, plus de 1800 banquiers de Credit Suisse géraient des comptes de clients américains, dont certains n'étaient pas déclarés au fisc américain. Des transactions étaient montées de façon à éviter les déclarations fiscales aux États-Unis.

Des compagnies tierces engagées par Credit Suisse permettaient de fournir à certains clients des cartes de crédit pour qu'ils puissent utiliser secrètement les fonds évadés.

De 2008 à 2011, après l'éclatement du scandale d'évasion fiscale au sein de la banque UBS, Credit Suisse a essayé de régularisé la situation de certains de ces comptes, en demandant aux clients concernés de fermer leurs comptes ou de les déclarer.

Au total, entre le pic de 2006 et la fin 2013, le nombre de comptes suisses appartenant à des clients américains a ainsi baissé de 85% chez Credit Suisse, précise le rapport, qui conclut que 19 000 clients étaient en faute.

«L'étude du cas Credit Suisse montre comment une banque suisse a aidé et s'est rendue complice d'évasion fiscale aux États-Unis, non seulement derrière le voile du secret en Suisse, mais aussi sur le territoire américain en envoyant des banquiers suisses pour ouvrir des comptes cachés», a dénoncé le sénateur Carl Levin, président démocrate de la commission.

La commission épingle au passage le département de la Justice américain pour n'avoir poursuivi en justice qu'une douzaine de banques suisses, en négligeant les poursuites contre les Américains ayant eu recours à des comptes suisses non déclarés.

Le Wall Street Journal affirmait en janvier que Credit Suisse était en négociations avec l'administration américaine pour échapper aux poursuites en échange d'une amende de plus de 800 millions de dollars.