Depuis le début de l'année, une soixantaine de points de service et de guichets ont été fermés au sein des caisses Desjardins. Cette vague de fermetures soulève de la grogne. Des membres de la coopérative se font activistes et se servent des pouvoirs dévolus à l'assemblée des membres pour exprimer leur mécontentement. Le combat rappelle celui d'Yves Michaud contre les banques canadiennes. Assisterons-nous bientôt à l'émergence d'un Robin des Caisses?

Nicole Racine, éleveuse de chiens bouviers bernois dans la région de Trois-Rivières, a convaincu plus de 800 membres de la caisse Desjardins Godefroy de réclamer une assemblée générale extraordinaire ce soir. Le but est d'amender le règlement de la caisse pour faire en sorte que le pouvoir de fermer ou d'ouvrir un point de service ou un guichet automatique relève dorénavant des membres réunis en assemblée. Actuellement, le pouvoir relève du conseil d'administration, comme l'ensemble des activités courantes d'une caisse.

Vendredi dernier, elle a obtenu l'appui de l'organisme Solidarité rurale du Québec et de sa présidente, Claire Bolduc. L'organisme avait déjà annoncé son opposition aux fermetures de points de service dans les villages en juin.

La caisse Desjardins Godefroy a annoncé en avril la fermeture de trois points de service à Bécancour, Sainte-Angèle-de-Laval et Précieux-Sang sur les huit locaux dont elle dispose. Face à la grogne, elle a réagi en laissant sur place le guichet automatique à Sainte-Angèle et à Bécancour.

Mme Racine se dit sûre d'obtenir l'appui nécessaire des deux tiers des voix pour amender le règlement. L'inquiétude est ailleurs. «Personne ne peut savoir ce que ça va donner et si c'est contestable par la suite. On ne sait pas si les caisses vont contester ou non», reconnaît-elle.

Elle souhaite que son initiative fasse boule de neige. «Ça bouge dans les caisses au niveau des assemblées générales extraordinaires», s'encourage-t-elle.

Pas de vote à Pohénégamook

Andrée Bard habite le quartier Saint-Éleuthère de Pohénégamook, dans le Bas-Saint-Laurent. La travailleuse forestière s'est jointe à la bataille des citoyens du quartier de Sully, qui ne veulent pas perdre leur point de service Desjardins, fermé depuis le 15 juin. Des membres ont réussi à obtenir une assemblée générale extraordinaire la semaine dernière sur la remise en question de la fermeture du point de service à Sully.

«Il en est ressorti que ça n'a pas été du tout une assemblée générale extraordinaire, dit Mme Bard, déçue. Ç'a été une assemblée d'information, parce que, dans l'avis de convocation, il n'était pas écrit qu'il y aurait un vote. Les gens du conseil d'administration ont décidé qu'il n'y aurait pas de vote.»

Qu'à cela ne tienne, elle remet ça. «On redemande une autre assemblée, juste pour voter», dit-elle, déterminée. «Les gens sont tellement insultés de la façon dont l'assemblée s'est déroulée qu'on n'aura aucun problème à avoir nos 110 signatures [minimales requises pour convoquer une assemblée extraordinaire]», ajoute-t-elle.

Sylvie Gallant, accordéoniste de Saint-Alexis-de-Matépédia, est l'une des porte-parole du comité Accordons-nous, formé par des citoyens et des membres de la caisse des Monts et Rivières. Trois points de service, dont celui de Saint-Alexis, ont été fermés le 15 juin, sans consultation. La population concernée doit dorénavant se rendre à Matapédia. «Un marchand avec qui j'ai parlé hier doit tous les jours faire 64 kilomètres aller-retour pour aller faire son dépôt», dit-elle.

Le comité attend de voir les résultats de l'initiative de Bécancour pour déterminer s'il exigera à son tour la tenue d'une assemblée générale extraordinaire.

Le salaire de Monique Leroux

Dans d'autres régions, c'est la rémunération de la présidente Monique Leroux qui soulève des critiques. À Trois-Rivières, le journaliste à la retraite Jacques Gingras fait adopter depuis deux ans par des caisses locales des résolutions critiquant sa rémunération.

À ses assises annuelles en avril, le Mouvement Desjardins a tenu son premier vote consultatif sur le processus de rémunération de la haute direction. Environ le tiers des quelque 2000 délégués, formés des directeurs généraux, des présidents et des administrateurs de caisses, ont exprimé leur désaccord.

En 2012, la rémunération totale (incluant la valeur des contributions à son régime de retraite) de Mme Leroux s'élève à 3,3 millions de dollars, en hausse de 14% depuis 2010.

Donner le pouvoir aux membres, est-ce souhaitable?

Le point de vue de Michel Séguin, professeur à ESG UQAM et titulaire de la Chaire de coopération Guy-Bernier

Le professeur de gestion de l'Université du Québec à Montréal s'intéresse aux questions de régie d'entreprise au sein du mouvement coopératif. Il doute de l'efficacité de la mesure proposée par les gens de Bécancour.

Selon lui, les membres de Desjardins font fausse route en réclamant qu'un pouvoir opérationnel, comme le réseau de distribution, relève dorénavant de l'assemblée annuelle des membres.

«C'est donner mainmise sur un champ d'expertise qui ne lui revient pas. L'assemblée annuelle n'a pas les moyens de le faire de façon efficace», tranche-t-il.

Il doute aussi de la légalité d'une telle mesure, bien qu'il soit le premier à reconnaître qu'il n'est pas juriste. «Le cadre de régie interne d'une caisse ne peut pas aller à l'encontre de la Loi sur les coopératives financières», soutient-il. À sa connaissance, la loi indique que les opérations courantes relèvent de la direction générale et du conseil d'administration, et non pas de l'assemblée générale.

Par contre, le professeur prône un rôle plus actif à l'assemblée annuelle dans la détermination des orientations stratégiques et le suivi par rapport à l'atteinte des objectifs. Par exemple, une caisse pourrait se donner comme mission de favoriser l'accessibilité aux services, puis d'identifier des indicateurs de performance par rapport à cette orientation stratégique.

«À l'assemblée annuelle, ce sera à la direction et au conseil d'administration d'exposer ces orientations stratégiques puis de démontrer aux membres comment la coopérative a atteint ses objectifs», explique-t-il.

Le point de vue d'Yves Michaud, fondateur du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC)

«Ce que j'en tire comme conclusion [des initiatives des membres mécontents de Desjardins], c'est que les caisses populaires se gouvernent beaucoup trop comme des banques», dit M. Michaud, dont la défense des droits des petits actionnaires au cours des assemblées annuelles des grandes banques lui a valu le surnom de Robin des Banques.

Il donne son appui à la tenue d'assemblées générales extraordinaires, qu'il souhaite d'ailleurs voir se multiplier. M. Michaud agit à titre de conseiller non officiel auprès de certains de ces regroupements de membres dissidents. Il appelle à la création d'un organisme de surveillance des caisses populaires. «Il va se trouver des Robin des Caisses, c'est même déjà commencé", dit-il.

M. Michaud ne voit pas de problèmes de compatibilité entre le pouvoir réclamé par les membres de la caisse Godefroy et la Loi sur les coopératives financières. «Bien sûr [que c'est compatible] et si ce ne l'est pas, il faudra amender la Loi sur les coopératives financières», dit-il.

La direction de Desjardins ne se laisse pas démonter par la multiplication des messages d'insatisfaction exprimés sur le terrain.

«Le seul message que l'on perçoit, c'est que la démocratie se porte bien. Desjardins a toujours été démocratique. On l'a toujours encouragée. C'est notre structure de fonctionnement. On est une coopérative», dit Nathalie Genest, porte-parole du Mouvement Desjardins.

Question de rentabilité

Pour Desjardins, les caisses, entités autonomes, se doivent d'être rentables. Le réseau de distribution doit être optimisé et tenir compte de la réalité que 9 membres sur 10 effectuent leurs transactions autrement qu'en personne à la caisse.

«Le réseau est sous pression. On a une concurrence féroce. Les gens utilisent de moins en moins les services de la caisse», dit Mme Genest.

Elle souligne que, malgré les récentes fermetures, le réseau de distribution des caisses reste pratiquement aussi étendu que le réseau québécois des huit grandes banques canadiennes mis ensemble.

Pour ce qui est des assemblées générales extraordinaires convoquées à Pohénégamook et à Bécancour, Mme Genest a peu de choses à dire, sinon que leur tenue n'a rien d'exceptionnel.

«Ce n'est pas nouveau que des membres demandent à leur caisse la tenue d'une assemblée générale extraordinaire pour discuter d'un point précis en cours d'année», fait-elle remarquer.

Pour ce qui est des ristournes aux membres, qui ont diminué de moitié depuis 2007, le mouvement a indiqué dans le passé préférer mieux capitaliser les caisses que de verser des ristournes.

Précision sur la rémunération

En ce qui a trait aux critiques suscitées par la hausse de la rémunération de Mme Leroux ces dernières années, Desjardins rappelle que cette rémunération reste bien en deçà de celle de ses concurrents banquiers.

Elle se situe également sous la médiane des patrons de coopératives financières d'envergure comparable ailleurs dans le monde.

Le printemps dernier, le tiers des 2000 délégués en provenance des caisses avaient exprimé leur désaccord au cours du vote consultatif sur la rémunération de la haute direction. «Ce n'est pas tant la rémunération, mais c'est sur l'approche de la rémunération qu'avait lieu le vote consultatif. La différence est super importante», souligne la porte-parole.

L'analyse du vote et des commentaires des délégués par le conseil d'administration se poursuit, et Desjardins fera le point aux assises de l'an prochain.