L'Autorité des marchés financiers (AMF) veut changer la réglementation afin d'aider les entreprises faisant l'objet d'une offre d'achat - par exemple, Rona - à mieux se défendre.

Selon l'AMF, les conseils d'administration (C.A.) devraient considérer autre chose que seulement le prix d'une offre - par exemple, le sort des employés et l'impact économique de l'entreprise dans son milieu - afin de décider s'il est dans l'intérêt de l'entreprise de soumettre cette offre à ses actionnaires.

«Actuellement, les C.A. sont contraints à agir comme encanteurs de l'entreprise s'il y a une offre d'achat, a dit Me Louis Morisset, surintendant des marchés de valeur de l'AMF, en entrevue à La Presse Affaires. Les C.A. doivent absolument trouver une meilleure offre pour les actionnaires. Nous pensons que cette situation doit évoluer pour que les C.A. puissent véritablement jouer leur rôle de fiduciaire de l'entreprise, qu'ils tiennent compte des intérêts des actionnaires, mais aussi des autres parties engagées comme les employés et la communauté dans laquelle l'entreprise est implantée.»

Selon l'AMF, son projet de règlement sur les moyens de défense des conseils d'administration aiderait le C.A. de Rona à se défendre contre une nouvelle offre d'achat de Lowe's, qui a retiré son offre de 14,50$ l'action en septembre dernier.

«Rona est un exemple théorique [il n'y a pas eu d'offre faite directement aux actionnaires, mais plutôt au C.A.], mais c'est indéniable que notre proposition aurait donné plus de latitude au C.A. de Rona, dit Louis Morisset. Évidemment, ça dépend du prix de l'offre: à un prix largement supérieur au prix initial [14,50$], je ne suis pas sûr qu'un tribunal ne conclurait pas qu'il y ait eu abus des droits des actionnaires.»

Selon la proposition de l'AMF, un C.A. pourrait instaurer un régime de droit lui permettant de rendre l'offre d'achat trop onéreuse pour l'offrant en multipliant le nombre d'actions et ainsi le prix d'achat (un régime de droit désigné comme une «pilule empoisonnée»). En pratique, ce régime fait en sorte que l'offrant retire son offre. Le Bureau de décision et de révision, un tribunal administratif, aurait le dernier mot sur ce que constituent des motifs valables pour instaurer une «pilule empoisonnée». «Notre proposition ne pourra pas faire qu'un C.A. pourra s'entêter à ne pas soumettre une offre à ses actionnaires», a dit Me Morisset au cours d'un symposium juridique organisé par le cabinet Fasken Martineau la semaine dernière.

Le projet de l'AMF survient au moment où les commissions provinciales des valeurs mobilières veulent modifier la réglementation pancanadienne sur les moyens de défense des C.A., une modification nécessaire en raison d'un manque de cohérence dans la jurisprudence. Les 10 organismes provinciaux se sont entendus pour donner une période de grâce de 90 jours aux C.A. (au lieu de 45 à 65 jours comme c'est le cas actuellement), mais l'AMF aimerait une réforme plus importante qui permettrait aux C.A. d'évaluer d'autres critères que le prix d'une offre d'achat.

En théorie, le gouvernement Marois pourrait modifier seul la réglementation pour le Québec, mais le règlement sur les moyens de défense des C.A. est actuellement pancanadien, et l'AMF a bon espoir de convaincre ses homologues des autres provinces. «Notre proposition vient régler le problème canadien, pas seulement québécois, de la vulnérabilité des C.A. d'entreprises en Bourse», dit Me Morisset.

L'AMF espère récolter plusieurs appuis à son projet d'ici la date limite du 12 juin pour le dépôt des commentaires. «Les entreprises en Bourse devraient voir ça d'un oeil favorable, tout comme les actionnaires à long terme comme la Caisse de dépôt», conclut Louis Morisset.