Le gouvernement Charest colmatera une brèche dans la Loi sur l'Autorité des marchés financiers qui permet actuellement aux ex-conseillers en placement de ne pas payer leurs amendes disciplinaires sans être inquiétés.

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La Cour d'appel du Québec a conclu mardi dans un jugement que les conseillers de placement ne pouvaient être forcés automatiquement par les tribunaux civils à payer leurs amendes disciplinaires en raison d'une omission dans la Loi sur l'autorité des marchés financiers. En pratique, les conseillers en placement qui changent de métier n'ont pas d'incitatif à payer leur amende, au contraire de ceux qui doivent garder leur licence des autorités pour continuer à pratiquer. Au Québec, entre 55% et 70% des amendes imposées à des conseillers en placement restent impayées. Environ 3,3 millions de dollars ont été perdus en amendes impayées l'an dernier au pays.

«Nous avons l'intention de colmater la brèche, a dit Alain Paquet, ministre délégué aux Finances du Québec, en entrevue à La Presse Affaires. Nous voulons la meilleure protection possible des investisseurs et du public. La réglementation doit s'appliquer adéquatement. Quand il y a des manquements, il doit y avoir des conséquences.»

Depuis plusieurs années, l'Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), un organisme d'autoréglementation reconnu par l'Autorité des marchés financiers (AMF) au Québec, a de la difficulté à percevoir ses amendes disciplinaires, particulièrement celles imposées à ses anciens membres. Parmi eux, Marc Beaudoin, un ancien courtier et partenaire d'affaires à Martin Tremblay (le banquier québécois ayant plaidé coupable à des accusations de blanchiment d'argent à New York).

Après avoir démissionné chez Corporation Recherche Capital en janvier 2006, M. Beaudoin a été radié de façon permanente par l'OCRCVM pour avoir refusé de collaborer à son enquête. Il a aussi hérité d'une amende de 56 114,09$. Au lieu de la payer, il a contesté en cour le pouvoir de l'OCRCVM de percevoir des amendes - une première. La Cour du Québec puis la Cour d'appel du Québec mardi dernier lui ont donné raison.

Le problème juridique de l'OCRCVM : l'AMF lui a bien délégué certains de ses pouvoirs en vertu des lois, mais pas celui de percevoir des amendes. De toutes les provinces canadiennes, seule l'Alberta lui a délégué ce pouvoir spécifique lui permettant de percevoir ses amendes.

En 2007, l'OCRCVM a demandé en commission parlementaire au gouvernement du Québec d'obtenir les mêmes pouvoirs qu'en Alberta, mais les lois québécoises n'ont pas été modifiées. Après la décision de la Cour d'appel rendue mardi, le gouvernement Charest a l'intention de modifier la loi, mais probablement pas de façon rétroactive. « Je n'avais jamais entendu parler de ce problème auparavant, dit le ministre Paquet. Avant cette cause, personne n'avait contesté le pouvoir de l'organisme de percevoir les amendes. »

La situation juridique est tellement absurde que les courtiers qui contestent leurs amendes du OCRCVM devant le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières ne peuvent se défiler de leur facture puisque le Bureau a le pouvoir de faire percevoir les amendes qu'il impose.

Même Marc Beaudoin, qui a gagné sa cause en Cour d'appel, semble d'accord avec un changement législatif. « Ça ne serait pas une mauvaise chose, dit M. Beaudoin, qui gère aujourd'hui ses actifs immobiliers et n'exerce plus le métier de courtier, à La Presse Affaires. Mais en même temps, il faudrait établir d'avance les paramètres des amendes. Je ne peux pas avoir une amende pour ne pas avoir collaboré. Et quand tu quittes une association, tu ne peux pas payer d'amende par la suite. »

L'OCRCVM estime avoir perdu trois millions de dollars en amendes impayées par 16 conseillers en placement et deux firmes de courtage au Québec entre 2002 et 2010. Au Québec, l'organisme perçoit entre 30% et 45% des amendes qu'il impose à ses membres. En 2010, il a perçu 250 000 $ des 875 000 $ imposés en amendes (Sarkis Sarkissian n'a pas payé son amende de 625 000 $). En 2011, il pense être en mesure de percevoir environ la moitié (710 000$) du montant de 1,48 million imposé en amendes (Patrick O'Neill n'a pas encore payé son amende de 770 000 $).

Au Canada, l'OCRCVM a imposé 4,9 millions de dollars en amendes en 2010-2011. Seulement 32% de cette somme a été payée. L'OCRCVM a ainsi perdu 3,3 millions en amendes impayées. Le taux de perception des amendes a été de 14,6% chez les conseillers en placement et de 98% chez les firmes de courtage. En Alberta, le taux de perception chez les conseillers en placement augmente à 58%. À titre d'exemple, un conseiller en placement qui fait faillite pourrait finir par ne pas payer son amende.

Avec la collaboration d'Alain Bisson