Bon an, mal an, Goldman Sachs renouvelle 10% de son effectif afin de s'assurer que seuls les meilleurs et les plus loyaux travaillent à LA banque.

Pour rester la plus influente, Goldman Sachs fait même bien davantage en entretenant une nébuleuse de contacts dans la sphère politique où se retrouvent beaucoup de ses anciens employés ou associés.

La banque est sous les feux de la rampe surtout depuis 1990. Elle s'est transformée alors progressivement de banque d'affaires traditionnelle en «un vaste casino spéculatif où tous les coups sont permis», selon Marc Roche.

Le phénomène s'est accéléré avec son actuel président Lloyd Blankfein, qui a succédé à Henry Paulson, devenu en 2006, le secrétaire au Trésor de George W. Bush, écrit-il dans LA Banque Comment Goldman Sachs dirige le monde. «Désormais, Goldman met l'accent non seulement sur le service à ses clients, mais crée ses propres structures concurrentes (...) En toute légalité, les informations obtenues auprès de ceux-ci permettent de nourrir les autres activités de la banque.»

L'auteur, chroniqueur financier au Monde de son métier, documente de beaucoup d'exemples cette culture lucrative du conflit d'intérêts.

On a droit, bien sûr, à force détails sur le camouflage de la dette grecque, en 2000, pour permettre à l'État hellène de satisfaire, en apparence du moins, aux règles d'adhésion à la monnaie unique. Le pot aux roses a été découvert au printemps dernier, 10 ans après le fait. Non seulement, la triche a-t-elle ébranlé l'euro, mais aussi les finances publiques et la stabilité politique du pays du bouzouki. «D'un côté, Goldman Sachs s'est fait rémunérer comme banquier-conseil du gouvernement hellène, écrit Roche. De l'autre, elle a spéculé sur la dette du pays.»

Autre exemple connu de double jeu: le produit structuré Abacus mis au point pour débarrasser la firme de ses créances hypothécaires viciées. Elle le vend à des petites banques européennes (IKB et ABN Amro) peu férues en titrisation qui devront par la suite leur survie aux contribuables de leur pays. En même temps, GS conseillait moyennant rémunération un fonds spéculatif de parier contre Abacus.

Si, selon Roche, les activités classiques de conseil ont été éclipsées par celles de trading (Blankfein est entré chez GS comme trader d'or), la banque reste efficace dans ce domaine. Elle a orchestré l'offre publique d'achat hostile et réussie de la luxembourgeoise Arcelor par le groupe indien Mittal. Aujourd'hui, un associé de Goldman siège chez le plus grand sidérurgiste du monde et Lashmi Mittal fait de même chez Goldman, ce qui lui permet d'espérer de prendre pied chez le géant émergent.

Goldman doit s'implanter dans les économies du BRIC, compte tenu de la méfiance accrue des États occidentaux à son endroit. En Chine, l'étoile de Goldman a pâli après l'échec de la prise de contrôle d'Unicol par la China National Offshore Company dont Goldman était la banque-conseil. «Malgré son emprise sur Washington, la Banque n'a pas su surmonter une levée de boucliers à la limite de la xénophobie», juge l'auteur.

Son emprise sur la sphère politique américaine lui aura cependant été salutaire. Tout en conseillant l'assureur AIG, Goldman a joué son titre à découvert en 2008, écrit Roche. Tout va bien jusqu'au jour où d'autres fonds spéculatifs agissent de même avec l'action de Goldman.

Blankfein téléphone alors à son ami Henry Paulson pour lui demander secours. Pourtant, Paulson a signé une lettre lui interdisant tout contact avec son ex-employeur. Paulson et Blankfein se parleront à cinq reprises le 17 septembre 2008. Deux jours après avoir condamné Lehman Brothers à la faillite, le Trésor viendra à la rescousse d'AIG ce qui permettra à Goldman de récupérer l'intégralité des 12,5 milliards que lui devait l'assureur...

Marc ROCHE LA Banque Comment Goldman Sachs dirige le monde Albin Michel. 2010. 310 pages.