Le sauvetage de grandes institutions financières avec l'argent des contribuables à qui on demande aujourd'hui de se serrer la ceinture en guise de merci crée de la grogne populaire.

C'est un grave aléa moral qui remet de plus en plus en question la doctrine Too Big to Fail (Trop grosses pour défaillir: TGPD) qui prévaut depuis le XIXe siècle parmi les banquiers centraux et les autorités réglementaires.

Deux fondements de cette doctrine font l'objet de vives discussions au sein des instances internationales, rappelle le Conference Board du Canada dans son étude intitulée What Remains to Be Done (Ce qu'il reste à faire) en matière de crise financière, de réforme réglementaire et de coordination internationale.

Des sauvetages contestés

«Où les banquiers centraux et les gouvernements doivent-ils tracer la ligne de leur soutien aux institutions financières en péril?» se demandent d'abord les auteurs, Paul Masson et John Pattison.

Historiquement, seules les banques avec activités de dépôt avaient droit à pareil privilège. Pourtant, la Réserve fédérale américaine (Fed) a organisé les sauvetages de la banque d'investissements Bear Stearns et de l'assureur AIG tout en laissant tomber Lehman Brothers, une autre banque d'affaires, et se matérialiser le risque de système qu'on connaît.

Ce choix a amené les régulateurs à parler plutôt d'institutions financières à risque systémique important (IFRI) que de TGPD. «Que l'effondrement d'une institution entraîne des conséquences significatives pour le système financier et l'économie réelle ne dépend pas que de sa taille, précisait lundi à la Conférence de Montréal Jochen Sanio, président de l'Autorité fédérale de supervision financière allemande. Il faut aussi mesurer jusqu'à quel point elle est interconnectée (interconnectivity) aux autres et à quel point elle est remplaçable (substitutability).»

Or, précise M. Sanio, ces dernières notions essentielles sont difficilement quantifiables. Voilà pourquoi il propose un cadre réglementaire international très strict pour transformer les TGPD en institutions trop fortes pour défaillir et ainsi limiter la prise sans vergogne de risques.

Les interdépendances complexes

Ce qui nous amène au deuxième élément de la problématique de MM. Masson et Pattison: le caractère crucial des interdépendances complexes des institutions financières.

Ils ont isolé cinq phénomènes qui ont nourri la dernière crise et qui restent susceptibles d'en déclencher une nouvelle, si on ne s'y attaque pas correctement: les nombreuses imbrications interinstitutionnelles, les dérivés de crédit opaques, les transactions bancaires sous-capitalisées, la taille excessive de quelques institutions pour une gestion efficace et l'abus de l'effet de levier.

Remédier même partiellement à ces problèmes requiert beaucoup de coordination internationale. «Non seulement ce préalable n'est pas satisfait, s'affligent les auteurs, mais le niveau de développement différent des pays pose des défis différents. Pour certains, la régulation devra aller au-delà des normes minimales internationales.»

Les auteurs appréhendent par-dessus tout que les États sentiront l'urgence d'agir à mesure que s'enracine la reprise.

Organisme international

M. Sanio partage aussi ces craintes. La difficulté est d'autant plus grande que les États renonceront difficilement à une part de leur souveraineté, si minime soit-elle, au profit d'un nouvel organisme international de liquidation ordonnée des IFRI défaillantes.

Les solutions nationales ne fonctionneraient pas pour elles, parce que la plupart forment des groupes financiers qui font affaire à l'échelle internationale.

«Si nous permettons aux institutions de faire affaire au-delà des frontières sous différents statuts légaux, alors nous devons avoir les moyens d'agir au-delà des juridictions, en cas de crise», plaide-t-il.

Cela laisse beaucoup de pain sur la planche non seulement aux chefs d'État du G20 qui se réunissent à Toronto à la fin du mois, mais aux autres institutions comme la Banque des règlements internationaux (réforme des Accords de Bâle), la nouvelle Commission de Stabilité financière, voire le Fonds monétaire international.

«Faute de quoi, prédit M. Sanio, un dangereux spectre hantera les marchés financiers, un monstre susceptible de détruire le système financier mondial. Jusqu'ici, les chances de succès paraissent un peu décevantes.»