Pourquoi un étudiant de 24 ans a-t-il fait des retraits en argent liquide de plus d'un million de dollars avec les fonds provenant de GE Capital? C'est ce que tente de savoir l'institution financière, qui croit avoir été victime d'une fraude.

Depuis l'automne, GE Capital enquête sur un présumé détournement de fonds auquel aurait participé son ex-vice-président, Carlo Fargnoli. Selon GE, Carlo Fargnoli a fait plusieurs versements inexpliqués à la PME JK Auction, de Montréal. JK est détenue par un étudiant de 24 ans, Jonathan Kruk.

L'affaire a retenu l'attention du siège social américain de GE, au Connecticut, qui mène l'enquête. Elle est délicate parce que Carlo Fargnoli est un ami personnel du PDG de GE Capital Canada, Patrick Palerme, selon des documents de cour. Les deux demeurent dans le même quartier, à Beaconsfield.

Pour tenter d'y voir clair, GE a fait analyser les comptes bancaires de Jonathan Kruk, après autorisation du tribunal. Elle a découvert que l'étudiant a reçu 1,6 million de GE Capital entre 2007 et 2009, répartis en une douzaine de versements, selon une récente requête en Cour supérieure.

Dans les jours suivant les versements, Jonathan Kruk a fait des retraits en argent liquide à coup de 20 000$, 50 000$ ou 60 000$. Au total, 42 retraits en argent liquide de plus de 10 000$ ont été faits entre 2007 et 2009, selon les documents déposés en cour.

En plus de ces retraits, les états de compte bancaires de JK sont parsemés de dépenses courantes à l'épicerie, chez Uniprix ou chez Starbucks, par exemple.

«Il appert que JK Auction ne faisait pas de réelles affaires, selon ce qui est reflété dans les comptes», est-il écrit dans la requête.

Ces faits avancés par GE avaient pour but d'obtenir l'autorisation du tribunal de fouiller plus à fond les comptes de Jonathan Kruk et de ses proches. La cour a accepté les demandes de GE Capital de reculer jusqu'à 2003 pour son analyse.

Les soupçons de GE n'ont aucunement été prouvés en cour. Carlo Fargnoli a d'ailleurs intenté une poursuite de 4,7 millions contre son ex-employeur pour diffamation.

GE a congédié Carlo Fargnoli en janvier pour «avoir violé les politiques de l'entreprise concernant la connaissance des clients et le blanchiment d'argent», est-il indiqué dans la lettre de congédiement dont nous avons copie.

Carlo Fargnoli était spécialisé dans la relance d'entreprises au bord de la faillite depuis 2003. Il était considéré comme le «Wayne Gretzky» de la finance.

Transfert de risque

Joint au téléphone, Carlo Fargoli dit n'avoir rien à se reprocher. Selon ses dires, l'utilisation d'un tiers comme JK Auction pour faire des transactions avait un but bien précis, soit le transfert du risque de GE vers JK. Pour absorber ce risque, JK obtenait une commission.

«L'entreprise JK servait à absorber le risque. Donc, il est normal que son dirigeant veuille retirer l'argent de l'entreprise (NDLR: pour le mettre à l'abri de poursuites de tiers). J'imagine que les états financiers de JK diront ce que l'entreprise a fait avec l'argent», dit M. Fargnoli.

Le gestionnaire dit avoir communiqué avec Jonathan Kruk depuis les enquêtes de GE. «Il a retiré l'argent à son choix. L'argent n'a pas été déposé dans un tiers pays ou quelque part. En temps et lieu, il va lui être demandé ce qu'il a fait avec l'argent, il va le justifier. Mais d'ici là, regardons les faits globalement avant de juger».

Nous avons tenté de joindre Jonathan Kruk, mais sans succès.

Ce sont les contrôleurs de GE qui ont levé des drapeaux rouges sur cette affaire, l'été dernier. «Ils ont observé que certains comptes non rentables étaient refinancés à répétition avec des fonds additionnels de GE malgré leur non-rentabilité et que des montants significatifs d'argent comptant étaient utilisés pour financer les transactions de restructurations, sans documents appropriés», est-il écrit dans la requête.

Parmi les clients dont la restructuration a fait l'objet de commissions à JK, GE mentionne Atlas Asphalte, Excavation DP, Béton Grilli, Acier Blais et Bois Oméga.

Rappelons que le dossier Atlas a été marqué par le suicide de son dirigeant, Joe Iacovelli, en juin 2008. L'homme croulait sous les dettes.

Dans le cas de DP, la principale signataire des emprunts à GE, Danielle Poitras, avait été reconnue coupable de multiples accusations de fraude dans une autre affaire, au printemps 2007.

À l'été 2008, Atlas et DP ont été fusionnés sous l'impulsion de Carlo Fargnoli. Ce groupe a finalement été liquidé après son départ, en février dernier, ce qui a fait perdre à GE 14 des 18 millions qu'elle y avait injectés.