À l'heure où certains pays plaident pour une action internationale concertée destinée à limiter les rémunérations des opérateurs de marché, les banques américaines délivrées de la tutelle de l'État renouent avec leur généreuse politique salariale.

En toute logique de marché, le nombre d'employés dans la finance mis sur le carreau par la crise (plus de 286 000 en un an selon les chiffres du ministère du Travail) devrait tendre à faire baisser les salaires, l'offre d'emplois étant bien inférieure à la demande.

Pourtant, c'est un mouvement inverse que l'on constate dans plusieurs banques de Wall Street. Chez Goldman Sachs, les comptes du deuxième trimestre font apparaître une hausse de plus de 47% sur un an des dépenses liées à la rémunération des employés (salaires et avantages), alors que les effectifs du groupe ont fondu dans le même temps de 16%.

Chez JPMorgan, l'une des premières banques américaines par les actifs, les rémunérations sous formes d'options sur titres («stock-options») ont augmenté de 21% sur un an au premier semestre.

Renflouées par Washington à l'automne, ces deux banques ont remboursé l'État fédéral de son investissement en juin.

De son côté, Wells Fargo, qui n'a pourtant pas encore totalement remboursé l'État, a fait part d'une augmentation de ses dépenses salariales au deuxième trimestre du fait de «rémunérations variables plus élevées dans les activités de prêt hypothécaire, de courtage et de banque d'investissement».

Dans une chronique publiée lundi dans le New York Times, le prix Nobel d'économie Paul Krugman s'insurge contre le fait que «les fiches de paye à Wall Street [soient] en train de revenir à leur niveau d'avant la crise» et regrette que le président américain Barack Obama ne semble pas «prêt [...] à se battre contre les banquiers».

À un journaliste qui lui demandait la semaine dernière pourquoi les États-Unis ne soutenaient pas la proposition européenne de limitation des salaires dans la banque, M. Obama a répliqué qu'il faudrait alors «se demander [...] pourquoi on limite la rémunération des banquiers de Wall Street mais pas celle des entrepreneurs de la Silicon Valley ou des joueurs de la Ligue nationale de football américain».

De fait, les banques qui se sont libérées des restrictions imposées par l'État en échange de son aide financière peuvent agir à leur guise: le gouvernement américain a renoncé en juin à brider par la loi la rémunération dans les entreprises et notamment dans la banque, après avoir pourtant identifié un certain nombre de dérives en matière de paye et de primes comme facteurs à l'origine de la crise financière.

Avant M. Krugman, Dominique Strauss-Kahn, directeur du Fonds monétaire international, (FMI), avait dit craindre «qu'à mesure que le secteur financier sortira de la crise, une mentalité du +faisons comme si rien n'était arrivé+ puisse empêcher que l'on fasse de réels progrès» sur la question des bonus.

Au delà des seules banques, les grandes entreprises américaines ne semblent pas prendre le chemin de modifier radicalement les pratiques de rémunération de leurs dirigeants, à l'origine de plusieurs scandales retentissants ces dernières années.

Alors que la forte croissance économique du début des années 2000 s'est accompagnée d'une augmentation de la pauvreté et des inégalités aux États-Unis, M. Strauss-Kahn a estimé récemment que «la recherche de nouvelles règles pour la rémunération» dans la finance se justifiait d'un simple «point de vue moral». Au pays du libéralisme, c'est un argument qui a du mal à se faire entendre.