En mars, Donald Nelles a pris une grande décision. Il a vendu ses actions en Bourse, réhypothéqué sa maison et confié tout l'argent à nul autre qu'Earl Jones. La semaine dernière, le choc: Donald Nelles a appris que les 295 000$ se sont envolés en fumée!

La nouvelle est accablante. Elle n'est toutefois qu'un petit portrait de l'horreur financière que vit la famille. En mai, sur les conseils rassurants d'Earl Jones, Donald Nelles s'est acheté une maison de campagne à Saint-Sauveur, grevée d'une hypothèque de 304 000$.

C'est sans compter qu'il s'était porté garant de l'hypothèque de 325 000$ contractée par sa mère, il y a quelque temps, sur les conseils de Jones. En quelques mois, donc, le résidant de Laval se retrouve avec trois hypothèques à sa charge totalisant près de 1 million de dollars et il n'a pratiquement plus d'actifs à son compte.

«C'est l'enfer, c'est horrible. Pas seulement pour moi, mais pour ma mère, qui n'a rien d'autre pour vivre, absolument rien. C'est absolument accablant», a dit M. Nelles, au cours d'un entretien téléphonique.

C'est qu'en plus des hypothèques, la famille Nelles avait confié les avoirs des deux héritages familiaux, celui du père, Talbot Nelles, et du grand-père maternel Whitehead, une affaire d'environ 1 million de dollars.

Un «ami» de la famille

Earl Jones est un ami qui côtoie la famille depuis près de 50 ans. Il est d'ailleurs le parrain de Donald, âgé de 37 ans. Aux funérailles de Talbot Nelles, en mai 2004, Earl Jones sympathise chaleureusement avec la famille du défunt. «Si je peux faire quelque chose pour vous, n'hésitez pas, aurait-il dit. Téléphonez-moi pour régler la succession, je travaille dans ce domaine», nous raconte Donald.dd

Il convainc donc les deux enfants héritiers de lui confier tous les fonds de l'héritage, une affaire de plusieurs centaines de milliers de dollars. Quelques semaines plus tard, il convie la famille à une fête dans le Maine, où il loue annuellement une maison de campagne (voir photo).

La Presse s'est rendue à la résidence de la soeur de Donald, Virginia Nelles, à Westmount, pour y consulter des documents.

Les états de compte de la Corporation Earl Jones portent l'en-tête de l'entreprise et le solde présumé des fonds, mais le reste est on ne peut plus simpliste: les relevés n'indiquent rien sur les véhicules de placement utilisé par M. Jones pour obtenir 8% de rendement (fonds communs, actions en Bourse, etc.). La seule mention «Royal Bank in Trust» avait pour effet de rassurer les bénéficiaires de la succession.

«Il était mon parrain, je lui faisais confiance. Je ne suis pas formé en finance», dit Donald Nelles, directeur des ventes dans le secteur aérospatial.

La famille Nelles tente aujourd'hui par tous les moyens de tirer l'affaire au clair. Par ses contacts avec divers liens familiaux, Virginia Nelles se dit convaincue qu'Earl Jones est aux États-Unis, soit chez sa fille Kim à Cape Cod, soit dans le Maine.

Les victimes tentent de se regrouper pour en savoir plus. Jerry Coughlan, de Boston, est l'une des têtes de pont entre les victimes. Sa mère de Montréal, sa soeur et une amie ont englouti une fortune dans cette affaire. Hier, il estimait à 150 le nombre de victimes. Selon l'Autorité des marchés financiers (AMF), elles auraient entre 30 et 50 millions de dollars en jeu dans cette affaire.

La plupart des victimes sont du Canada, mais certains sont des bénéficiaires de familles montréalaises déménagées dans les États américains du Vermont, du Maine, de Colorado et même de la Californie, dit M. Coughlan. «Nous voulons mettre de la pression sur M. Jones», dit-il.

Ce matin, il y aura d'ailleurs une rencontre pour les victimes à l'hôtel Holiday Inn Pointe-Claire, à 11h. Y sera présent le séquestre Gilles Robillard, mais également des représentants de divers services sociaux.

Hier, il a été confirmé que ce n'est pas Earl Jones qui a été aperçu à Londres, au Royaume-Uni. Jerry Coughlan croit que le financier déchu pourrait avoir quitté le pays avec sa femme, Maxine. «Apparemment, leur femme de chambre a fait le ménage de leur condo la semaine dernière en se faisant dire par les Jones qu'ils partaient pour un long voyage», dit-il.

Certains croyaient que la conjointe d'Earl Jones, Maxine Jones, serait restée auprès de sa fille Kristin, à Westmount, pour l'aider dans les soins de son bébé, né il y a un mois. Mais sur place, rue Grosvenor, les voisins ont indiqué à des représentants de La Presse que Kristin et sa famille étaient absentes depuis le milieu de la semaine dernière.

Personne de la famille Jones n'a été vu non plus chez les beaux-parents de Kristin, rue Sunnyside, à Westmount.

Jones a joint un avocat

Jerry Coughlan n'exclut rien pour M. Jones, pas même le suicide. Mais cette hypothèse est à exclure, pour le moment, puisque La Presse a appris qu'Earl Jones avait joint un avocat montréalais pour le défendre. Il s'agit du spécialiste en droit criminel Richard Shadley, du cabinet Shadley Battista.

Il n'est pas encore clair, cependant, si un mandat lui a été octroyé. Au cabinet, on nous a indiqué que «c'est une information qu'on n'est pas capable de partager pour le moment».

Richard Shadley s'est fait connaître pour avoir défendu Irving Grunman, ce conseiller de l'arrondissement de Saint-Laurent trouvé coupable d'avoir versé des pots-de-vin. Il a également défendu Ronald Weinberg et feue Micheline Charest dans l'affaire Cinar.