Le président de Vacances Sinorama, Simon Qian, admet avoir violé la Loi sur les agents de voyages. Son entreprise a creusé un trou de 33 millions dans les comptes de ses clients, et l'homme d'affaires se montre incertain de pouvoir récupérer l'essentiel de cette somme.

Ces informations se trouvent dans des documents déposés au Tribunal administratif du Québec (TAQ), devant lequel les dirigeants Simon Qian et Martine Jing tentent de sauver l'entreprise in extremis. Vendredi, l'avocat de l'Office de la protection du consommateur (OPC), Marc Migneault, en a fait état au tribunal.

Le 24 juillet, Vacances Sinorama, de Montréal, a été placée sous tutelle par l'OPC. Le 7 août, l'OPC a officiellement refusé de renouveler le permis de l'agence de voyages, au terme de son enquête. C'est cette décision que le PDG Hong « Simon » Qian, titulaire du permis, a tenté de faire infirmer devant le TAQ vendredi.

Simon Qian admet avoir violé la loi dans deux documents distincts remis récemment à l'OPC et déposé devant le tribunal.

« Nous avons une profonde compréhension des dispositions de l'OPC et nous comprenons notre violation », a écrit Simon Qian à l'OPC le 2 août.

« Nous avons travaillé de notre façon, cela a causé des problèmes à l'Office et amené des risques à nos clients. Nous regrettons et nous excusons pour ces problèmes ainsi que pour les inconvénients imposés à nos clients. »

- Simon Qian, PDG de Sinorama

Le 23 juillet, Simon Qian avoue explicitement, dans une autre lettre dont nous avons une copie, qu'il doit puiser dans les fonds des clients pour survivre, en violation de la loi.

UN TROU DE 33 MILLIONS

Parmi les documents déposés à la TAQ, dont nous avons une copie, se trouve un bilan des comptes en fidéicommis des clients de Sinorama au 30 juin 2018, préparés par la firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton.

Or, sur les 41 millions de dollars versés par les clients de Sinorama ces derniers mois pour payer leurs voyages, seulement 7,7 millions ont servi à prépayer les fournisseurs (hôtels, avions, etc.), tandis que 636 000 $ sont en encaisse, indique le bilan.

Le reste est considéré comme « un déficit de 33 millions », selon la propre firme embauchée par Sinorama pour l'aider (Raymond Chabot) et selon l'OPC. Une grande partie des 33 millions, plus précisément 22 millions, aurait servi à payer des voyages déjà faits par des clients hors Québec qui ont eu recours aux services de sociétés affiliées à Sinorama.

Ni le grand patron de Sinorama, Simon Qian, ni ses comptables « n'étaient en mesure de dire si les entreprises affiliées » rembourseraient un jour les sommes à la maison-mère de Montréal, « bien que M. Qian ou son épouse Martine Jing détiennent le contrôle de ces sociétés affiliées », écrit l'OPC dans sa décision du 7 août révoquant le permis de Sinorama.

En vertu du Règlement sur les agents de voyages, les fonds perçus des clients doivent être entièrement déposés dans le compte en fidéicommis et ne servir qu'à payer les services encourus en leur nom. La loi interdit d'utiliser les sommes pour d'autres clients ou pour assumer les frais d'exploitation de l'agence (publicité, loyers, etc.), par exemple.

Vendredi, devant le TAQ, l'administrateur provisoire de Sinorama nommé par l'OPC, Christian Bourque, a estimé pour sa part qu'il manquait 26 millions dans les comptes des clients. Ce déficit devra être éventuellement remboursé aux milliers de clients de Sinorama dont les voyages après le 9 septembre ont été annulés.

Les acomptes des clients lésés seront remboursés par le fonds d'indemnisation, financé à même les contributions obligatoires de l'ensemble des voyageurs du Québec.

En mai, La Presse avait estimé qu'il manquait 11 millions dans les coffres de l'entreprise à la fin de 2017 pour honorer les futurs voyages déjà payés par les consommateurs. La direction de Sinorama avait répliqué que l'enquête de La Presse était construite sur des « insinuations mensongères » et de « pures spéculations ».

ENGAGEMENT VOLONTAIRE ROMPU

Au début de juin, Sinorama a signé un engagement volontaire avec l'OPC. Cet engagement a été pris à la suite d'une enquête de l'OPC, lancée en décembre 2017, qui avait constaté divers manquements dans la gestion des fonds des clients.

Cet engagement l'obligeait à verser, dans un nouveau compte en fidéicommis, « tous les fonds perçus des clients depuis le 1er mai [2018] », que ce soit pour des clients du Québec ou hors Québec. De plus, l'engagement lui interdisait de retirer ces fonds sauf pour payer les voyages des dits clients.

Or, le 17 juillet, après vérification, la firme comptable de l'OPC (Ernst & Young) a constaté que Sinorama n'avait pas respecté son engagement du 13 juin, omettant de transférer les acomptes de clients durant certaines journées ou ne les transférant que partiellement.

Dans la foulée de cette vérification, Simon Qian a présenté un plan d'affaires à l'OPC, le 23 juillet, dans lequel il admet être incapable de tout déposer dans un compte en fidéicommis, comme la veut la loi, qu'il a besoin des fonds de voyage des clients pour vivre au jour le jour.

« [Nous demandons une] tolérance quant aux fonds perçus des clients depuis le 13 juillet 2018. En effet, les fonds perçus de clients depuis le 13 juillet 2018 ne seront pas déposés dans un compte en fidéicommis. Ceux-ci seront entièrement utilisés pour le paiement de dépenses essentielles à la poursuite des activités de Sinorama devant s'effectuer au fur et à mesure de leur échéance, principalement des dépenses liées aux clients voyageurs [...], mais aussi des dépenses d'opération et d'administration... »

Vendredi, d'ailleurs, l'administrateur provisoire, Christian Bourque, a dit à la Cour avoir constaté que l'entreprise était effectivement insolvable.

Deux jours avant la révocation du permis le 7 août, Simon Qian avait transmis à l'OPC une lettre détaillant les sommes que devaient à la maison-mère de Montréal les sociétés affiliées de Paris, Düsseldorf, Vancouver, Toronto et Auckland (Nouvelle-Zélande). Au total, il y en a pour 20,7 millions, qui serait dû depuis parfois trois ans.

Vendredi, l'avocat de l'OPC, Marc Migneault, a mis en doute ces comptes à recevoir, puisqu'une récente mise en demeure de l'affilié de Paris soutient que c'est plutôt Sinorama Montréal qui lui doit de l'argent.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Martine Jing, l'une des dirigeantes de Sinorama.