En 1999, fraîchement diplômée en économie et en politique, Béatrice Alain s'est rendue au Chiapas. Cinq ans auparavant, cet État mexicain avait connu un soulèvement. La lutte des zapatistes avait transformé la région en symbole. Leurs revendications portaient sur l'affirmation de l'identité locale, la reconnaissance des premiers peuples et la contestation du libre-échange. Bénévole dans un centre de droits de la personne, Béatrice Alain a alors appris une leçon qui guide encore ses actions aujourd'hui.

«On ne peut pas arriver de l'extérieur avec des solutions toutes faites, aussi bien intentionnées soient-elles, dit celle qui succède à Jean-Martin Aussant à la direction du Chantier de l'économie sociale. Il faut plutôt donner des moyens à la communauté de développer elle-même des choses qui lui ressemblent. Et qu'elle pourra gérer en fonction de ses besoins et de ses priorités.» 

Cette philosophie s'applique aussi au Québec.

«On est qui, de Montréal, pour dire quoi faire en Abitibi ou en Gaspésie?», affime Mme Alain.

Dans cet esprit, le Chantier de l'économie sociale est au service des participants. Il s'assure que les entrepreneurs collectifs et les organisations locales puissent mettre en place des projets viables et utiles dans leurs milieux. Et ce, peu importe le secteur, le lieu et la taille.

«Ils doivent avoir le même accès aux expertises, aux accompagnements et aux ressources, dit Mme Alain. Et avoir droit à la même écoute pour leurs projets que toute autre communauté.»

Un pilier important



Au cours des 20 dernières années, l'économie sociale a pris sa place au Québec.

Elle pèse pour 10% du Produit intérieur brut (PIB), avec des revenus annuels de plus de 35 milliards. Elle emploie 150 000 personnes dans des milliers de coopératives et d'organismes à but non lucratif (OBNL).

Ses entreprises sont présentes partout dans le monde économique, social et culturel. Elles se trouvent, par exemple, dans l'immobilier, les jeux vidéo, l'informatique, les CPE, la réinsertion de travailleurs, etc. Desjardins, Agropur et les grands festivals en font aussi partie. 

«C'est un privilège d'arriver en poste avec l'écosystème actuel, constate Béatrice Alain. C'est très riche en termes d'organisations et de personnes expérimentées. Puis, en même temps, il y a un processus de relève. On est dans un moment très intéressant de maillage entre les deux.»

Place aux priorités



Les priorités seront validées par le conseil d'administration cet automne.

Le Chantier souhaite notamment inscrire l'économie sociale dans des approches prometteuses. Parmi celles-ci, l'économie circulaire (peu de déchets) et l'économie collaborative (mise en commun des biens, des savoirs, etc.).

«On veut aussi identifier des enjeux pour lesquels l'économie sociale peut contribuer, dit Mme Alain, comme la reconversion de grands bâtiments, la gestion des données, le vieillissement de la population, la relève d'entreprises et la vitalité culturelle.» 

Le Chantier valorisera également le développement local.

De plus, il soutiendra des acteurs d'accompagnement de projets (qu'ils soient dans un CLD, une municipalité, un incubateur, un laboratoiref d'innovation, etc.).

«Nous allons aussi faciliter l'implication d'une diversité d'acteurs dans les projets et interpeller de nouveaux partenaires», précise Béatrice Alain.

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BÉATRICE ALAIN, UN PROFIL INTERNATIONAL

> CHANTIER DE L'ÉCONOMIE SOCIALE 

• 2018 : directrice générale

• 2016-2018 : directrice, partenariats

• 2015-2016 : coorganisatrice, Forum mondial de l'économie sociale (GSEF 2016)

• 2010-2018 : responsable, relations internationales

> SCOLARITÉ 

• 2000-2002 : Johns Hopkins University - Paul H. Nitze School of Advanced International Studies : maîtrise, marchés émergents

• 1996-1999 : Université McGill : bac, sciences économiques et politiques

• Parle le français, l'anglais, l'italien, le portugais et l'espagnol

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LE PRÉSIDENT DU CONSEIL QUITTE SES FONCTIONS

Après 17 ans en poste, Patrick Duguay quittera la présidence du conseil d'administration du Chantier de l'économie sociale en novembre prochain. Mais il demeure directeur général de la Coopérative de développement régional (CDR) Outaouais-Laurentides. Voici ce qu'il pense de...

Béatrice Alain (nouvelle directrice générale) : «Elle a une capacité d'analyse très fine et une connaissance pointue de l'économie sociale et des réseaux locaux et internationaux. Elle a une pensée stratégique qui lui permet de percevoir les opportunités. Elle est impressionnante.»

Renouvellement générationnel : «Ce n'est pas seulement lié à l'âge, mais aussi à la culture et à la façon de faire, notamment avec les outils numériques. C'est une autre façon de réfléchir, mais c'est très enraciné dans ce qu'on a construit au Chantier comme patrimoine. C'est la meilleure façon d'être en continuité. Et c'est aussi en lien avec ma décision de quitter mon poste de président du conseil. Je ne voulais pas laisser la maison en désordre en partant.»

Jean-Martin Aussant (directeur général précédent) : «Il a eu la capacité de faire passer l'économie sociale dans l'espace public. Il a fait une contribution exceptionnelle. Grâce à lui, on a réussi à rejoindre de nouveaux publics et à faire parler de nous.»

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Duguay