Québec vient de gagner sa cause contre l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), qui avait poursuivi le gouvernement et la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) l'été dernier pour ne pas avoir à transmettre des factures détaillées aux assureurs.

Depuis le 15 septembre dernier, les pharmaciens doivent remettre à leurs patients une facture précisant le coût des médicaments et celui de leurs services professionnels dans deux cases séparées.

Or, la loi leur impose aussi de transmettre ces informations aux assureurs, a conclu le juge Daniel Dumais dans son jugement déposé lundi.

Jusqu'ici, les pharmaciens ont refusé de le faire. Lorsqu'ils transmettent électroniquement la facture aux assureurs, ils n'indiquent que le total, sans préciser leurs honoraires.

L'AQPP arguait que l'obligation de transmettre une facture détaillée se limitait aux personnes physiques se procurant le médicament en pharmacie. Québec interprétait le texte de loi de façon plus large pour y inclure les assureurs. L'industrie de l'assurance n'était pas impliquée dans le processus judiciaire.

Ce que dit la Loi sur l'assurance médicaments (LAM) : « Un pharmacien doit remettre une facture détaillée à la personne à qui est réclamé le paiement d'un service pharmaceutique [...]. »

LES ARGUMENTS DU JUGE

Le juge a donné raison sur toute la ligne à Québec. Il rappelle qu'il est important d'interpréter la loi de façon « moderne », en fonction de « l'intention exprimée par le législateur ». Ainsi, l'expression « une personne » ne doit pas être prise au pied de la lettre. Elle doit non seulement inclure les personnes morales, mais peut aussi signifier plus d'une personne.

« C'est l'inverse qui surprendrait. Prenons l'exemple de deux parents qui se partagent les coûts d'un médicament pour leur enfant en garde partagée. Chacun paie sa moitié. Doit-on comprendre qu'un seul a droit à une facture ? Si oui, lequel ? »

- Le juge Daniel Dumais

Quant au terme « remettre », les pharmaciens arguent que cela « implique la mise en possession de quelque chose ». Le juge croit que « remettre a plutôt le sens de transmettre ». « D'ailleurs, si on exige que le destinataire soit sur place, que faire dans le cas de clients alités ou incapables de se déplacer ? »

En outre, l'AQPP a fait valoir que la transmission des données aux assureurs ferait monter ses frais pour l'adaptation des systèmes informatiques. Le juge rappelle qu'il est « fréquent qu'une loi nouvelle entraîne des conséquences financières [...] surtout en matière d'intérêt public ».

« Je ne vois pas ça comme une victoire », a commenté la ministre de la Santé Gaétan Barrette, joint par La Presse. « Je suis satisfait de cette décision-là. Par contre, je ne serais pas surpris que l'AQPP fasse appel », a-t-il ajouté. 

« Nous sommes déçus, nous étudions le jugement et considérons nos options », a pour sa part indiqué le vice-président exécutif et directeur général de l'AQPP, Jean Bourcier.

POURQUOI L'INFORMATION DOIT-ELLE ÊTRE TRANSMISE ?

Le juge Daniel Dumais explique bien pourquoi il est important, à son avis et selon le législateur, que les assureurs aient accès à l'information complète se trouvant sur la nouvelle facture détaillée. Il rappelle que le but de la loi est « une plus grande transparence ».

« On désire que les payeurs soient informés du coût des médicaments et des services de sorte qu'ils puissent magasiner les prix si tel est leur désir. Une telle concurrence favorise généralement un contrôle des coûts, ce qui ne peut qu'être bénéfique pour tous et favoriser la viabilité du régime [général et obligatoire d'assurance médicaments créé en 1996]. »

Selon l'AQPP, les assureurs n'ont qu'à demander une copie des factures à leurs assurés, rapporte le jugement. Or, leur répond le juge, « on s'éloigne de l'objectif de concurrence si on statue que seul le citoyen peut transmettre la facture à l'assureur ».

Le jugement réjouit le président du Comité sur les assurances collectives du Syndicat des professeurs et professeures de l'Université Laval (SPUL), qui milite depuis des années pour une plus grande transparence des pharmaciens. « Le juge prend position pour l'intérêt des citoyens et du Québec, et non d'une association », dit Marc Desgagné.

La section québécoise de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP) affirme pour sa part avoir conclu « une trêve médiatique » avec l'AQPP, ce qui l'empêche de commenter l'affaire.

_________________________________________________________________________________

À lire, à compter de dimanche dans La Presse+, un dossier complet sur la nouvelle facture détaillée, les honoraires des pharmaciens et l'explosion des coûts des assurances médicales.