La plainte que Boeing a déposée contre Bombardier devant la Commission du commerce international (ITC) des États-Unis pousse la Caisse de dépôt et placement du Québec à sauter dans l'arène, a appris La Presse.

L'institution n'apprécie pas du tout que Boeing qualifie de « subvention » l'investissement de 1,5 milliard US qu'elle a fait l'an dernier dans la division ferroviaire Bombardier Transport. Selon nos informations, la Caisse a retenu les services de l'avocat H. Deen Kaplan, spécialisé en commerce international au cabinet anglo-américain Hogan Lovells, pour intervenir en sa faveur devant l'ITC. Une requête en ce sens doit être déposée au cours des prochains jours.

« Nous allons faire valoir l'indépendance de la Caisse comme investisseur », a confirmé hier Maxime Chagnon, porte-parole de l'institution. 

« On considère que la décision de Boeing d'inclure notre investissement [dans les subventions reçues par Bombardier], c'est totalement sans fondement. »

- Maxime Chagnon

La Caisse soutient que son investissement dans Bombardier Transport, qui lui donne une participation de 30 % dans le constructeur de matériel roulant, n'est pas une subvention parce qu'il prévoit un rendement financier important, conforme aux pratiques du marché, et qu'il respecte les règles du commerce international.

Dans sa plainte, déposée la semaine dernière, Boeing affirme au contraire que l'investissement de la Caisse « n'était pas raisonnable sur le plan commercial ». « La structure de ce mécanisme d'investissement est atypique et n'est pas de nature à attirer un investisseur privé raisonnable », allègue l'avionneur américain dans sa plainte. Pour Boeing, l'investissement de la Caisse avait pour seul but de renflouer la nouvelle gamme d'avions C Series de Bombardier, qui a cumulé retards et dépassements de coûts.

QUÉBEC ET OTTAWA AUSSI

Notons que Québec, Ottawa et le transporteur américain Delta Air Lines, dont la commande de 75 appareils C Series est au coeur du litige, ont déjà demandé à l'ITC la permission d'intervenir dans ce dossier très médiatisé. Le ministre fédéral de l'Innovation, Navdeep Bains, et la ministre québécoise du Développement économique, Dominique Anglade, ont tous deux dénoncé publiquement la plainte de Boeing.

Avant même que le géant américain ne s'en prenne à Bombardier, le gouvernement fédéral s'était déjà porté à la défense de l'investissement de la Caisse devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), où le Canada fait l'objet d'une plainte du Brésil, pays d'origine d'Embraer, un autre concurrent de la multinationale québécoise.

« La Caisse agit en son nom et n'engage qu'elle-même, a écrit Ottawa dans un document déposé auprès de l'OMC il y a 10 jours. [...] Bombardier et ses conseillers ont planifié et mené une sollicitation d'investisseurs ; un nombre important d'investisseurs potentiels, dont la Caisse, ont soumis des manifestations d'intérêt en lien avec l'investissement en capital potentiel. »

Boeing allègue en outre dans sa plainte que le bras financier du gouvernement, Investissement Québec (IQ), a contribué financièrement à la construction de l'usine de la C Series, à Mirabel. « IQ n'a pas financé » ces travaux, a toutefois indiqué plus tôt cette semaine à La Presse une porte-parole de la société d'État, Chantal Corbeil.

D'AUTRES APPUIS POUR BOMBARDIER

Le PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, a par ailleurs donné un soutien inattendu à Bombardier dans sa bataille contre Boeing, hier, à l'occasion de l'assemblée annuelle du transporteur, tenue à Montréal.

« Les bouleversements technologiques ont donné lieu à de remarquables innovations au cours de l'histoire relativement courte de l'industrie de l'aérospatiale, et nous ne sommes pas favorables aux tentatives de les étouffer », a-t-il dit aux actionnaires réunis au siège de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), en présentant les avions C Series comme étant « parfaits pour Air Canada ».

« Nous sommes heureux que les efforts de Bombardier aient défié le duopole qui existait dans le segment des petits appareils à fuselage étroit », a ajouté M. Rovinescu. Rappelons qu'Air Canada a commandé l'an dernier 45 avions C Series et a obtenu en retour un allègement de ses obligations législatives en ce qui a trait à l'entretien de sa flotte au Canada.

Enfin, la publication britannique Flight International, très influente dans l'industrie, a également décrié la plainte de Boeing, estimant qu'elle « manque de crédibilité ». « L'OMC a conclu en novembre dernier que [Boeing bénéficie de crédits d'impôt illégaux d'une valeur oscillant entre 1 et 5,6 milliards US, soit à peu près l'ampleur des subventions de Bombardier », a-t-elle écrit.