Un manque d'expertise en matière de construction est à l'origine du dépassement de coûts de 400 à 450 millions à la cimenterie controversée de Port-Daniel-Gascons, en Gaspésie.

Le gestionnaire de l'actif de la caisse de retraite des travailleurs québécois est au courant des difficultés du chantier depuis août 2015 et est intervenu depuis à trois reprises pour corriger le tir.

Actionnaire minoritaire de Ciment McInnis, la Caisse de dépôt a dû ajouter 40 millions à son investissement de 100 millions dans la cimenterie et d'autres réinvestissements seront probablement nécessaires, explique Christian Dubé, l'homme fort de la Caisse au Québec, qui affirme sans sourciller que le projet de cimenterie est malgré tout plus rentable que jamais.

La Caisse détient indirectement 22 % de la cimenterie. Actionnaire majoritaire, Beaudier Ciment est une coentreprise formée de la famille Beaudoin-Bombardier et de la Caisse de dépôt. Investissement Québec, qui a mis 100 millions dans le capital-action en plus d'un prêt de 250 millions, a réduit sa participation dans la cimenterie à 16 % en ne participant pas aux plus récents appels de fonds.

Dans un communiqué publié hier matin, la ministre de l'Économie Dominique Anglade a confirmé que le gouvernement n'injecterait pas un sou de plus dans le projet. Québec a aussi demandé un rapport de situation chaque semaine et des garanties de financement.

La cimenterie de la Gaspésie, la première en construction en sol canadien depuis un demi-siècle, doit produire 2,2 millions de tonnes métriques de ciment par an, destinées au marché nord-américain. L'usine devait coûter 1,1 milliard ; elle coûtera 1,5 milliard, soit entre 400 et 450 millions de plus que prévu.

M. Dubé s'est rendu disponible hier matin pour expliquer les raisons de ce dépassement de coûts pharaonique.

La moitié du surcoût est liée à l'accélération des travaux en vue de respecter l'échéancier, soit la mise en service de l'usine en novembre 2016 et des livraisons au printemps 2017. Le chantier de construction a démarré avec six mois de retard, soit à l'automne 2014 plutôt qu'en mars-avril.

Une somme de 100 millions correspond aux ajouts faits au projet comme la bonification des équipements des terminaux maritimes.

Des calculs d'experts erronés

Environ 75 millions se sont ajoutés en raison d'estimations erronées. La Caisse avait pourtant fait confirmer les chiffres par une firme externe d'ingénieurs. M. Dubé n'identifie pas la firme fautive et refuse de dire si la Caisse la poursuivra. Les frais relatifs au conflit avec Lafarge, qui n'a plus cours depuis, complètent le portrait du dépassement de coûts.

En dépit de son statut d'actionnaire minoritaire, la Caisse est intervenue directement dans le dossier. Dès août 2015, la Caisse a chargé la firme GPH d'aller à Port-Daniel vérifier les chiffres que lui fournissait la direction de Ciment McInnis pour s'assurer d'avoir une bonne discussion sur l'avancement des travaux.

« Il y avait le besoin de renforcer l'équipe de direction, reconnaît le premier vice-président Québec. On avait une belle expertise au niveau de l'exploitation d'une usine de ciment, mais on n'avait peut-être pas toute l'expertise à l'interne au niveau de sa construction », poursuit M. Dubé.

En février 2016, la Caisse a convaincu la cimenterie de nommer Luc Bélanger à la vice-présidence construction. Une fois en poste, celui-ci est arrivé à la conclusion qu'il fallait revoir les coûts du projet.

Ainsi, en mai dernier, l'investisseur institutionnel a appelé à la rescousse la firme de Luc Lessard, qui a travaillé au chantier de la mine de diamants de la société Stornoway, un projet qui est en avance sur son échéancier tout en respectant son budget. « Son rapport a été déposé à la Caisse en mai. Il est venu corroborer l'écart de coûts d'environ 400 millions », dit M. Dubé.

L'équipe de direction de la cimenterie, Christian Gagnon en tête, reste en poste. M. Dubé croit que les mauvaises surprises sont de l'histoire ancienne avec les correctifs apportés et considérant que le chantier sera terminé dans six mois.

« Ce qu'on a de notre expertise externe [M. Lessard], c'est une usine excellente qui va livrer des rendements très intéressants, dit M. Dubé. Malgré les surcoûts, ça va prendre très peu de temps à rentabiliser ces investissements. En plus, le marché est meilleur que prévu lorsqu'on a investi initialement. On a un meilleur rendement que ce qu'on prévoyait au début, malgré l'augmentation des coûts. »

Selon sa lecture, le projet va être très bien capitalisé pour les 40 à 50 prochaines années avec très peu de réinvestissements. « Le marché est fort, ajoute-t-il. Les prix du béton ont augmenté. Le dollar canadien est bas. Il faut absolument être là dès le printemps 2017 comme prévu. »

Financée en partie par des fonds publics, la cimenterie de Port-Daniel est un projet controversé depuis le départ en raison de la surcapacité de l'offre dans le marché nord-américain. Utilisant du coke de pétrole comme combustible, la cimenterie deviendra une fois en exploitation le plus important émetteur de gaz à effet de serre du secteur industriel québécois. Le projet n'a pas été soumis au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, au grand dam des environnementalistes.