Le gouvernement du Québec s'attend à perdre plus de 100 millions sur des prêts risqués faits à Ciment McInnis, en Gaspésie, et à Kruger, à Trois-Rivières. La somme correspond à la provision pour pertes que le gouvernement a prise sur ces deux interventions.

Investissement Québec, le bras investisseur du gouvernement, ne divulgue pas habituellement la provision par entreprise. Une information jugée trop stratégique pour être publiée.

Exceptionnellement, l'information a été rendue publique à la suite du dépôt d'un document à l'Assemblée nationale pendant l'étude des crédits du ministère de l'Économie, de la Science et de l'Innovation (MESI), le 19 avril dernier.

Pour l'ensemble de 2016-2017, la provision pour créances douteuses des mandats gouvernementaux s'élève à 153 millions, en hausse de 49 millions par rapport à l'année précédente.

Québec a prêté avec intérêt 250 millions à la nouvelle cimenterie de 1 milliard appartenant à 51 % à la famille Beaudoin-Bombardier et à la Caisse de dépôt.

En 2015-2016, le gouvernement a pris une provision de 50 millions pour un déboursé de 114,6 millions. En 2016-2017, le gouvernement budgète dans ses dépenses 66 millions pour un nouveau décaissement de 150,2 millions. « La provision pour pertes se calcule dans l'année où le déboursement à l'entreprise est effectué », lit-on dans le document déposé à la Commission de l'économie et du travail le 19 avril.

Les sommes déboursées dépassent les 250 millions puisqu'une partie de la somme a été versée sous forme de capital-actions.

Le taux de provision moyen sur le prêt de McInnis avoisine les 44 %, un taux quatre fois plus élevé que le taux moyen des provisions pour pertes dans les programmes normés d'IQ, soit 11 %.

Toutefois, le prêt à Ciment McInnis a été fait par l'entremise du Fonds de développement économique (FDE), enveloppe discrétionnaire du gouvernement. Dans ce cas, IQ agit seulement à titre de mandataire. Le taux moyen de provision pour pertes du FDE est stable depuis deux ans et s'élève à 34 %.

IQ a pour rôle de prêter dans la tranche plus risquée d'un investissement, là où ne veulent pas s'aventurer les prêteurs classiques. La même logique vaut pour les interventions du Fonds de développement économique.

Mais qu'est-ce qu'une provision pour pertes ? Les principes comptables obligent le gouvernement à agir prudemment et à provisionner les prêts en fonction du risque.

« La cote de risque de défaut de l'entreprise varie, explique le Ministère dans un courriel, selon le type de financement (prêt c. équité ou quasi-équité) ; le stade de vie de l'entreprise (démarrage c. entreprise en opération commerciale) ; son secteur d'activité ; la présence de moratoire de remboursement (plus le moratoire est long, plus la provision est élevée) ; la présence de sûretés ; la solidité de la société mère. »

Ciment McInnis assure qu'elle entend rembourser chaque sou du prêt gouvernemental.

« On est très motivé à le rembourser, parce que le taux d'intérêt est plus élevé que le prêt des banques »

- Maryse Tremblay, porte-parole de Ciment McInnis

Ciment McInnis n'a pas à rembourser de capital avant la fin de la construction de la cimenterie.

VERS DES PERTES DE 51 MILLIONS SUR LE PRÊT À KRUGER

Le gouvernement a annoncé en septembre 2015 un engagement de 190 millions pour la conversion d'une machine à papier journal en machine à carton doublure léger 100 % recyclé, à Trois-Rivières. Québec a investi 106 millions de dollars pour acquérir 25 % des parts de Kruger Holding S.E.C. Le gouvernement a consenti en plus un prêt avec intérêts de 84 millions.

La provision pour pertes atteint 51,3 millions, pour un taux de provision équivalant à 61 % de la somme prêtée. Il a été impossible de recueillir les commentaires de Kruger avant parution.

PROVISION D'UN PRÊT À 100 % : UNE ERREUR, SOUTIENT LE MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE

Quand le gouvernement provisionne un prêt à 100 %, est-ce une façon détournée de verser une subvention ?

Le document officiel du ministère de l'Économie déposé à l'Assemblée nationale indique noir sur blanc que le prêt de 7,5 millions consenti à Serres Lefort, un producteur serricole de légumes biologiques, a fait d'objet d'une provision pour pertes de 100 %.

Questionné sur la différence entre une subvention et un prêt qui fait l'objet d'une provision de 100 % l'année de son déboursement, le Ministère a répondu que c'était une erreur. Le taux de provision n'est pas de 100 %, mais de 27 %.

« C'est une erreur qui a été corrigée. Un mauvais % au mauvais endroit. Y'a pas d'autres explications », écrit Jean-Pierre d'Auteuil, responsable des relations médias au MESI.

L'erreur n'a pas été signalée aux parlementaires.