Le gouvernement Couillard pourrait violer sept accords internationaux du Canada en imposant une norme de composition du vin québécois et en autorisant la vente de vin québécois en épicerie, selon un avis juridique confidentiel obtenu par La Presse.

Québec s'apprête à modifier sa Loi sur la Société des alcools du Québec (SAQ) et à y intégrer ces deux mesures.

Or, les avocats du gouvernement dénoncent l'ajout d'une norme de composition du vin québécois dans le permis de producteur artisanal. Cela formaliserait l'obligation que le vin québécois soit fabriqué avec des raisins cultivés à 85% dans la province. Ce pourcentage n'est pas précisé dans le permis actuel et la loi en vigueur ne mentionne pas la provenance des raisins.

Selon les experts du gouvernement, cette mesure «brise le rapport de concurrence dans la commercialisation de ce produit» puisque les fruits cultivés au Québec reçoivent un traitement «plus favorable» que ceux qui proviennent de l'étranger.

Le projet de loi accorderait aussi au ministre de l'Agriculture la possibilité de recommander la modification de la composition du vin «en cas de pénurie.»

L'avis juridique cite sept traités qui seraient violés par l'éventuel projet de loi des libéraux. L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de l'Organisation mondiale du commerce, l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l'Accord sur le commerce intérieur (ACI) et l'Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l'Union européenne figurent parmi les ententes énoncées dans le document.

Vins québécois en épicerie

Selon le document, le projet de loi permettrait aux vignerons de vendre leurs vins directement aux épiceries.

Les juristes de l'État soulignent que la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) a déjà transgressé les engagements commerciaux du Québec en permettant aux vignerons québécois de vendre leurs vins dans les expositions agricoles, dans les marchés et les événements publics destinés à promouvoir les produits agroalimentaires. Si Québec rend ces extensions officielles en les incluant dans une loi et ajoute le marché des épiceries, les experts craignent que la loi ne soit contestée, car les vins embouteillés à l'étranger n'ont pas accès à ces points de vente.

Les experts disent avoir prévenu le gouvernement à trois reprises quant aux problèmes liés au projet de loi.

Le bureau du ministre des Finances Carlos Leitao confirme que le respect des accords internationaux complique l'élaboration du projet de loi et retarde son dépôt à l'Assemblée nationale.

Un projet de loi déjà prêt

L'attachée de presse du ministre Leitao, Nathalie Roberge, n'est pas en mesure de dire quand le projet de loi sera déposé, et ce, même si le gouvernement avait promis de le faire cet automne.

Le projet existe pourtant depuis plus d'un an. Le ministre des Finances, Carlos Leitao, le ministre de l'Agriculture, Pierre Paradis, et la vice-première ministre, Lise Thériault, ont déposé un mémoire commun en novembre 2014 au Conseil des ministres.

Ce mémoire, consulté par La Presse, minimise l'impact de la vente des vins en épicerie sur les accords internationaux.

«Le MAPAQ est bien au fait des obligations internationales et interprovinciales du Québec en regard des accords de commerce, stipule le document. Toutefois, il est d'avis que des contestations sont peu probables compte tenu des faibles volumes en cause.»

La SAQ surveillée par l'Union européenne

L'avis juridique met en garde le gouvernement contre la transgression des accords internationaux, puisque leurs signataires surveillent de près le commerce de l'alcool dans la province. L'Union européenne «effectue une veille permanente des activités des monopoles d'importation des boissons alcooliques, dont la SAQ», précise le document.

Il ajoute que lors d'une rencontre, le 26 novembre 2014, entre le Canada et l'Union européenne, cette dernière a déposé une liste de questions concernant les sociétés des alcools qu'elle juge «discriminatoires».

La délégation de l'Union européenne à Ottawa ne nie pas que les activités de la SAQ sont scrutées à la loupe.

«L'Union européenne suit de très près le développement de la politique de l'alcool des provinces ainsi que les régies provinciales des alcools afin d'assurer que les produits importés soient sur un pied d'égalité en respectant les obligations commerciales internationales du Canada», a expliqué par courriel la délégation.

L'attachée de presse du ministre Leitao, Nathalie Roberge, n'a pas voulu commenter l'avis juridique. Elle affirme cependant qu'il est «normal dans le marché de faire des veilles stratégiques sur les acteurs du marché». Concernant la SAQ, elle assure que les pratiques commerciales sont saines et qu'il n'y a pas de problème.

Deux obligations qui seraient violées par Québec

1) Le traitement national: cet engagement consiste à offrir au produit importé un traitement similaire ou équitable au traitement accordé aux produits locaux. Si Québec impose une norme de composition du vin québécois et que le ministre peut modifier cette composition selon la qualité de la récolte, les vins québécois recevraient, selon les juristes, un traitement plus favorable.

2) L'interdiction d'imposer des prescriptions de résultat en investissement: les juristes critiquent la norme de composition du vin québécois. Selon l'avis juridique, il faudrait que 85% des raisins utilisés proviennent du Québec. Or, si un investisseur étranger possède un vignoble dans la province, cette norme impose une prescription de résultat «interdite par plusieurs accords auxquels le Québec est lié».