La privatisation totale ou partielle du commerce des boissons alcoolisées revient périodiquement sur le tapis au Québec et ailleurs au Canada. Mais malgré tous les débats qu'elle génère, l'abolition des monopoles d'État est encore loin de faire l'unanimité.

Des ratios faussés

La Société des alcools (SAQ) réfute les arguments de la commission Robillard qui suggère au gouvernement d'abolir son monopole en raison de sa piètre performance et de ses coûts de gestion élevés par rapport à ses pairs.

La comparaison avec la Régie des alcools de l'Ontario (LCBO) est particulièrement boiteuse, affirme la société d'État dans une réplique diffusée hier matin, avant même le dépôt du rapport.

Le ratio des frais d'administration sur les ventes est de 16% à la LCBO et de 21% à la SAQ, affirme la commission Robillard. C'est inexact, selon la SAQ, parce que la LCBO vend aussi de la bière, ce qui ajoute 1 milliard de dollars à ses revenus. «Si on ajoutait des ventes similaires à la SAQ, les ratios de charges d'exploitation et de rémunération sur les ventes seraient tout à fait comparables», affirme la SAQ.

Selon son porte-parole Jean-Vincent Lacroix, la commission n'a pas tenu compte non plus du fait que le marché ontarien est axé sur les spiritueux, alors que celui du Québec est axé sur le vin. «Les spiritueux se vendent plus cher que le vin et prennent moins d'espace sur les tablettes, explique-t-il. Pour une vente de spiritueux de 30$, il faut le double de bouteilles de vin à 15$ et plus de manipulation et d'entreposage.»

La SAQ précise aussi que la commission a utilisé de vieux chiffres pour évaluer sa performance. Ça ne coûte plus 21 cents pour générer 1$ de revenus, comme l'affirme le rapport, mais plutôt 18,8 cents, grâce aux gains d'efficacité réalisés par l'entreprise.

En outre, la SAQ ne comprend pas comment la fin du monopole de la SAQ pourrait faire baisser les prix, comme l'affirme la commission, si le gouvernement maintient au même niveau les revenus qu'il retire de la société d'État.

Le détaillant privé paierait plus cher pour ses produits parce qu'il n'aurait pas le même pouvoir d'achat que la SAQ, et il s'octroierait un profit, précise le porte-parole de la société d'État. «Où seraient les économies pour les consommateurs? Ce n'est pas très clair, dit-il. C'est un élément qui manque dans l'équation.»

Des mises au point en rafale

Surtout des taxes

La SAQ vend du vin et de l'alcool, mais elle est avant tout un précepteur de taxes et d'impôt. Sur ses revenus de près de 3 milliards de dollars réalisés l'an dernier, les deux tiers ont été retournés à l'État. La société d'État a ainsi versé 1 milliard en dividende au gouvernement du Québec et 600 millions perçus en taxes sur l'alcool. Quelque 400 millions ont été versés au gouvernement fédéral en taxes d'accise. L'achat de la marchandise et les salaires accaparent le reste.

Un monopole partiel

Le monopole de la SAQ n'est pas absolu. Les Québécois peuvent acheter de la bière et du vin dans les épiceries et les dépanneurs. Le marché de la bière, en particulier, est important au Québec avec 43% des parts du marché des boissons alcoolisées.

Un modèle répandu

Les États ont d'abord pris en charge le commerce de l'alcool pour en contrôler la qualité et restreindre la consommation, avant de s'en servir surtout comme outil de taxation. Il s'agit d'un modèle encore très répandu. Au Canada, huit provinces contrôlent le commerce des boissons alcoolisées, et une vingtaine d'États aux États-Unis.

Le cas de l'Alberta

En Alberta, où la vente de vins et d'alcool est privatisée depuis 1993, l'expérience est loin d'être concluante, parce que les études réalisées sur le sujet se contredisent. Ainsi, selon l'Institut Fraser, le prix des vins et alcools a baissé en Alberta depuis la privatisation. Mais le Parkland Institute de Calgary est arrivé à la conclusion que le prix de l'alcool est plus élevé en Alberta qu'en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, deux provinces qui ont gardé un contrôle sur ce secteur. En outre, le gouvernement albertain aurait perdu 1,5 milliard en revenus depuis la privatisation, selon cette même étude.

Le cas de l'Ontario

Comme au Québec, la possibilité de démanteler le monopole public sur la vente de boissons alcoolisées revient périodiquement en Ontario. Plus tôt cette année, un comité présidé par l'ex-président de la Banque TD, Ed Clark, a conclu que les contribuables ontariens n'auraient rien à gagner de la privatisation de la LCBO. Le comité a plutôt suggéré d'améliorer l'efficacité du monopole et de libéraliser la vente de la bière, un peu sur le modèle québécois.

Une question de choix

Le secteur privé ne pourrait pas offrir le même choix de vins que la SAQ, soutient Gaétan Frigon, qui a été président de la société d'État. Contrairement à la SAQ, les détaillants privés vendent leur espace-tablette, ce qui favorise les gros producteurs qui ont des ressources financières importantes. Les petits producteurs n'ont pas les mêmes moyens et seraient marginalisés, selon lui. Le vin représente 80% des ventes de la SAQ.