Sans tambour ni trompette, un important groupe financier s'est récemment protégé de la faillite, mettant dans l'embarras des dizaines d'investisseurs bien connus du monde des affaires.

Le groupe Sécur Finance, spécialisé dans le financement hypothécaire «alternatif», doit plus de 103 millions de dollars à une soixantaine d'investisseurs. Parmi eux se trouvent Érik Péladeau, frère du chef péquiste Pierre Karl Péladeau, de même que l'ex-président du club de hockey Titan de Laval, Carol Morrissette.

Le 8 juin, Sécur Finance a obtenu la protection du tribunal contre les recours des créanciers. Cette requête en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies - similaire à la Loi sur la faillite - donne un délai à l'organisation pour réorganiser ses affaires.

Au fil des procédures, les juges de la Cour supérieure ont donné à l'organisation jusqu'au 22 septembre pour faire une proposition à ses créanciers.

Sécur Finance, dirigé par l'homme d'affaires Joël Warnet, offre des prêts hypothécaires dits «alternatifs» à des projets immobiliers en manque de financement. Ces financements temporaires, connus comme des prêts de type B, sont accordés à des entrepreneurs qui ne respectent pas les critères des prêteurs traditionnels, comme les banques.

En retour de ces prêts plus risqués, Sécur réclame des taux d'intérêt plus élevés que la norme, typiquement de 12 à 15%, en plus des frais de dossiers. L'argent qui est prêté vient d'une soixantaine d'hommes d'affaires, médecins et investisseurs fortunés québécois. L'organisation de Joël Warnet leur verse des rendements de 8 à 10%. Autrement dit, Sécur Finance joue en quelque sorte le même rôle qu'une banque, faisant des profits sur l'écart entre les taux des emprunts et les prêts.

Péladeau, Pelletier, Benoit, Forest...

Selon des documents déposés en Cour, Érik Péladeau y a injecté 1,8 million de dollars, personnellement ou au nom de son entreprise Publication Alpha, tandis que Carol Morrissette y a englouti 9,3 millions.

Parmi les autres investisseurs se trouvent la famille de Gérald Pelletier (6,7 millions), de même que la famille du multimillionnaire André Benoit (4,7 millions) et celle de Georges Forest (4,6 millions).

Gérald Pelletier a été PDG de la boulangerie Multi-Marques et était, jusqu'à récemment, président du conseil d'administration des Rôtisseries St-Hubert. André Benoit et sa famille ont fait fortune dans le domaine des assurances en vendant le Groupe Commerce, de Saint-Hyacinthe, à ING en 1989. Georges Forest est le fondateur de Quincaillerie Richelieu.

Les affaires de Sécur Finance roulaient correctement jusqu'à ce qu'une proportion significative de ses clients-emprunteurs lui fasse défaut de paiement, selon la requête. L'entreprise a ainsi perdu 11,3 millions en 2014, et le manque de liquidités l'a obligée à cesser le paiement des intérêts à ses investisseurs, le 20 mai dernier. Pour se protéger de la faillite, elle a notamment mandaté le contrôleur Restructuration Deloitte, le 5 juin.

Au 30 avril, Sécur avait 157 prêts, d'une valeur de 107,5 millions. De ce nombre, 38 étaient en difficulté ou incertains, pour une valeur de 61,7 millions, précisent des documents déposés en Cour. Les financements ont été faits un peu partout au Québec.

«Les prêts en difficulté sont des prêts dont les intérêts ne sont plus payés [par les emprunteurs] et, dans plusieurs cas, dont le capital pourrait être à risque», explique une requête présentée par Deloitte. Le capital est à risque car la valeur de vente de chacun des immeubles associés aux prêts pourrait être inférieure aux prêts accordés.

Diverses raisons expliquent les défauts de paiement. Certains emprunteurs ont été incapables de refinancer leurs projets auprès de leur premier prêteur, tandis que d'autres ont subi des dépassements de coûts, entre autres.

Joint au téléphone, le responsable chez Deloitte, Martin Franco, estime qu'au terme de la restructuration, les investisseurs devraient récupérer 90% de leur investissement, en moyenne. Certains toucheront passablement moins, car leur investissement est lié à des projets en difficulté.

Par contre, Joël Warnet et ses entreprises devraient perdre plus de 14 millions, soit plus de 60% du capital et des prêts injectés dans l'affaire.

Coup dur pour les condos neufs

Déjà au ralenti, le marché des condos neufs ne sortira pas indemne des problèmes financiers de Sécur Finance, important prêteur dans ce secteur.

«Les constructeurs étaient une des niches favorites de Sécur Finance, ce qui n'est pas le cas nécessairement pour les autres prêteurs privés», dit Denis Doucet, porte-parole du courtier Multi-Prêts hypothèques.

Parmi les 157 prêts de Sécur Finance, 33 visent des projets de construction, dont 6 avec des entreprises de l'entrepreneur Mario Jr Di Palma, précise la requête.

«Quand les financiers prêtent de l'argent et que les condos ne se vendent plus, ça cause des problèmes de remboursement, dit M. Di Palma au téléphone. Puis, quand les prêteurs ont des problèmes de remboursement, ils ne sont plus capables de sortir de l'argent pour les autres projets. C'est le marché de Montréal. Présentement, ça va très mal. C'est triste pour tout le monde.»

Le PDG de Sécur Finance, Joël Warnet, n'a pas voulu faire de commentaires, nous suggérant de parler au contrôleur Martin Franco, chez Deloitte. Aucun des investisseurs à qui nous avons laissé des messages, notamment Érik Péladeau, n'a rappelé La Presse Affaires.

Photo archives La Presse

Érik Péladeau, frère du chef du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau, a confié près de 2 millions à Joël Warnet.

Photo archives La Presse

Ex-PDG de la boulangerie Multi-Marques, Gérald Pelletier et des membres de sa famille ont avancé 6,7 millions à Sécur Finance.

Les prêts mezzanines ont mis Sécur Finance en difficulté

C'est le prêt de construction, dit mezzanine, qui a mis le prêteur Sécur Finance dans le pétrin. Quand le marché du condo neuf s'est mis à ralentir, les promoteurs ont été incapables de payer les intérêts à Sécur Finance sur leur prêt. Trois projets financés par Sécur Finance qui ont mal tourné

Le St-Vincent, 4536, boul. Lévesque Est, à Laval

Usine 51, 2190, rue Préfontaine, à Montréal

Il s'agit de deux constructions du Groupe Nomade International dans lesquels beaucoup d'unités restent invendues à ce jour. L'Usine 51, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, doit son nom au numéro que portait le hockeyeur Francis Bouillon, l'un des promoteurs du projet.

«C'est à cause du St-Vincent et de l'Usine 51 que [Joël] Warnet [propriétaire de Sécur Finance] connaît des problèmes. Il s'est étiré un peu trop. Le St-Vincent est trop dans l'Est. Il est difficile à vendre», dit un courtier immobilier, spécialiste de Laval, qui ne veut pas être identifié.

On a tenté sans succès d'obtenir les commentaires de Nomade. La personne qui répond au numéro du bureau des ventes du St-Vincent et de l'Usine 51 affirme qu'elle n'y travaille plus depuis un an. Au siège social de Nomade, à Saint-Adolphe-d'Howard, le numéro du responsable des ventes n'a pas de boîte vocale. Un message laissé au propriétaire Steve St-Pierre est resté sans suite.

Le 822, rue Sherbrooke Est, à Montréal

Sécur a financé six projets du promoteur Mario Jr. Di Palma. Les fonds proviennent de 19 prêteurs. Certains d'entre eux ont financé plus d'un projet de M. Di Palma.

Au 822, rue Sherbrooke Est, les travaux sont arrêtés depuis plusieurs mois. «Quand l'argent bloque, c'est sûr que ça bloque les projets», dit M. Di Palma au téléphone. Tous ses projets sont au point mort.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, LA PRESSE

Le Saint-Vincent à Laval.