Rigueur et discipline. C'est par ces mots qu'un ancien collègue et qu'un représentant syndical décrivent Éric Martel, le nouveau président d'Hydro-Québec.

« Il est extrêmement discipliné, personnellement, et comme gestionnaire, il est très analytique, il est capable de voir la possibilité d'améliorer les choses », raconte Michael McAdoo, qui a oeuvré pendant 13 ans au sein de Bombardier Aéronautique, où il a été notamment vice-président à la stratégie et au développement des affaires.

« Tout le monde peut avoir une mauvaise année, mais lui, il en a moins que les autres, ajoute-t-il. Ça revient à sa discipline et à sa façon de monter ses équipes. »

David Chartrand, coordonnateur québécois au syndicat des machinistes, n'a pas toujours apprécié les décisions d'Éric Martel, loin de là, mais il a aimé son ouverture, son honnêteté, sa rigueur et sa discipline.

« Quand je regarde tout ce qui se passe chez Hydro-Québec présentement, on a besoin de plus de rigueur, plus de discipline dans la façon dont les contrats sont traités et dont les programmes sont mis en place, affirme-t-il. Quand ils vont décider de vendre quelque chose, ça sera peut-être mieux fait. Peut-être qu'il y aura plus d'argent qui va ressortir pour l'État. »

PARCOURS CHEZ BOMBARDIER

Éric Martel a obtenu un baccalauréat en génie électrique à l'Université Laval en 1991. Il a travaillé successivement chez Kraft, Procter and Gamble, Rolls-Royce et Pratt & Whitney. Il a toutefois passé l'essentiel de sa carrière au sein de Bombardier, où il est entré en 2002 en tant que vice-président aux opérations, Amérique du Nord, dans la division ferroviaire. 

Il est passé à la division aéronautique en 2005 en prenant la responsabilité de l'usine de Dorval et des programmes d'avions d'affaires Challenger. Il a été nommé vice-président principal chez Bombardier Avions commerciaux en 2010, devenant responsable des programmes de biréacteurs régionaux CRJ et d'appareils turbopropulsés. L'année suivante, M. Martel est devenu président des services à la clientèle et des avions spécialisés et amphibies.

Enfin, en janvier 2014, M. Martel a pris la présidence de Bombardier Avions d'affaires, supervisant ainsi 11 000 employés dans le monde.

La division a toutefois connu son lot de difficultés. Il y a trois semaines, l'entreprise a annoncé qu'une baisse de la cadence de production des appareils Global 5000 et 6000 se traduira par la perte de 1750 emplois, dont un millier à Montréal.

Une semaine plus tard, Bombardier a annoncé le départ de M. Martel et son remplacement par l'Américain David Coleal, un cadre de Spirit Aerosystems qui a dirigé la division Learjet de Bombardier, à Wichita, de 2008 à 2011.

Bombardier avait alors indiqué laconiquement que M. Martel quittait l'entreprise « pour relever d'autres défis professionnels ».

BAISSE DE SALAIRE

Le nouveau président de Bombardier, Alain Bellemare, a effectué plusieurs changements à la haute direction de l'entreprise récemment. Il a notamment remplacé le président de Bombardier Avions commerciaux, le Québécois Mike Arcamone, par l'Américain Fred Cromer.

En nommant M. Martel à la présidence d'Hydro-Québec, l'État québécois vient piger une fois de plus dans le bassin des anciens de Bombardier.

Québec a notamment nommé un autre ancien président de Bombardier Avions d'affaires, Pierre-Gabriel Côté, à la tête d'Investissement Québec. Le gouvernement québécois a également nommé l'ancienne responsable des communications de Bombardier Aéronautique, Hélène Gagnon, au conseil d'administration d'Hydro-Québec. Mme Gagnon est maintenant vice-présidente aux affaires publiques et aux communications mondiales chez CAE.

M. Martel devra toutefois faire face à une petite baisse de salaire en prenant la tête d'Hydro-Québec. En 2014, sa rémunération totale a atteint 2,1 millions de dollars chez Bombardier, soit 525 500 $ en salaire de base et le reste en options, en autres types de rémunération et en valeur de régime de retraite. Chez Hydro-Québec, il touchera 483 000 $ par année.

APPLAUDISSEMENTS ET GRANDES ATTENTES

L'arrivée d'un ancien dirigeant de Bombardier à la tête d'Hydro-Québec est accueillie favorablement, et les engagements d'Éric Martel vers plus de transparence et une amélioration du service sont comme de la musique aux oreilles de la clientèle de la société d'État.

Expérience et indépendance 

C'est la première fois que le gouvernement recrute le président d'Hydro-Québec chez une grande entreprise du secteur privé, souligne Luc Boulanger, le porte-parole des grandes entreprises qui sont les plus importants consommateurs d'électricité du Québec. Les deux présidents précédents, André Caillé et Thierry Vandal, venaient de Gaz Métro, un monopole qui ne connaît pas la compétition. « Éric Martel vient d'une entreprise confrontée tous les jours à la concurrence et à des questions de survie et il est donc capable de comprendre nos défis », s'est-il réjoui.

Le fait que M. Martel n'ait aucun lien politique est aussi vu positivement par le porte-parole de l'Association québécoise des consommateurs industriels d'électricité. Il ne connaît pas nécessairement le monde de l'énergie, mais c'est son expérience de gestion qui compte, selon Luc Boulanger. « Le courant ne passe plus entre Hydro-Québec et sa clientèle, il faut que ça change. »

Un virage consommateur ?

La nomination d'un nouveau président pourrait être l'occasion de remettre le consommateur au coeur de la mission d'Hydro-Québec, espère Marc Olivier Moisan Plante, l'analyste en énergie de l'Union des consommateurs. La volonté du gouvernement d'utiliser les tarifs d'électricité pour remplir ses coffres a des résultats désastreux, estime-t-il. M. Moisan rappelle que 62 000 clients ont été débranchés l'an dernier, un record, et que 288 000 ont dû prendre une entente de paiement, un autre record. Les tarifs augmentent aussi à cause de la volonté du gouvernement de développer le secteur éolien, même si cette énergie n'est pas nécessaire. « Est-ce que le nouveau président pourra dire non au gouvernement ? Ça reste à voir ».

Une nouvelle perspective

Un gestionnaire du secteur privé amène nécessairement avec lui une nouvelle perspective, croit la porte-parole de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, Martine Hébert. « Ça paraît dans leur façon de gérer », explique-t-elle, en soulignant les premiers mots d'Éric Martel au sujet de la transparence de la société d'État. Les petites entreprises membres de la FCEI ont besoin qu'on les écoute et qu'on les traite plus équitablement, selon Martine Hébert. « J'espère que les PME pourront avoir accès à davantage de programmes d'efficacité énergétique, qui s'adressent surtout aux grandes entreprises », dit-elle.

Combinaison intéressante

Le Conseil du patronat applaudit à la nomination d'Éric Martel à la succession de Thierry Vandal. Il s'agit d'un leader chevronné qui a contribué de façon remarquable au succès de nombreuses organisations, a souligné l'organisme dans un communiqué.

« Ces expériences au sein d'organisations telles que Bombardier, Pratt & Whitney, Rolls-Royce ou encore Procter and Gamble ou Kraft Foods, constituent une combinaison fort intéressante dans des environnements touchant autant des clientèles de consommateurs que des clientèles commerciales et industrielles, un contexte qui ressemble à celui d'Hydro-Québec. »

Des priorités stimulantes

Si l'intention du nouveau président d'être plus transparent suscite une approbation unanime, sa volonté exprimée hier de faire croître l'organisation et d'améliorer sa productivité plaît particulièrement à Françoise Bertrand, présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

« L'hydroélectricité est une force réelle pour le Québec et représente un avantage concurrentiel à utiliser stratégiquement pour attirer des investissements », a commenté Mme Bertrand.

- Hélène Baril