Un professeur de droit soutient que les dispositions proposées par le gouvernement du Québec visant à demander aux fournisseurs de services internet de bloquer l'accès aux sites illégaux de jeux ouvrent la porte aux contestations judiciaires. La mesure se trouve dans le budget déposé jeudi.

«Il s'agit d'une idée remarquable et possiblement illégale de la part du gouvernement de censurer internet dans le but d'en tirer un gain commercial», a écrit Michael Geist, professeur à l'Université d'Ottawa, sur son blogue hier matin. En déplacement à l'extérieur du pays, le professeur n'a pu être joint au téléphone. Dans un courriel, il nous a permis de citer des extraits de son blogue.

Dans son budget 2015-2016, le gouvernement du Québec propose de légaliser le jeu en ligne privé en le canalisant sur sa plate-forme Espacejeux, actuellement boudée par la majorité des joueurs. En vertu d'un contrat passé avec une entreprise privée, Loto-Québec deviendrait l'exploitant exclusif du jeu au Québec et en contrôlerait les profits. Cette façon de procéder a l'avantage d'éviter d'amender le Code criminel, qui interdit en théorie les jeux d'argent et de hasard exploités par l'entreprise privée.

En parallèle, Québec se propose de modifier ses lois pour qu'aucun fournisseur de services internet ne permette l'accès à un site illégal de jeux en ligne dont le nom se trouve sur une liste des sites à proscrire établie par Loto-Québec.

D'après le professeur Geist, l'initiative porte flanc à de possibles contestations judiciaires, tant sur le plan de la liberté d'expression que sur le plan constitutionnel. Les fournisseurs d'accès internet comme Bell et Vidéotron relèvent de la juridiction du gouvernement fédéral, fait-il valoir.

«Aucun commentaire ne sera effectué pour le moment, nous a écrit Vidéotron, parce que nous en sommes encore à analyser cette mesure qui pourrait soulever des questions de compétence juridictionnelle.» Bell non plus ne veut rien dire pour le moment.

Pour Jean-Philippe Béïque, président d'Electronic Box, fournisseur d'accès internet tierce partie qui compte 45 000 abonnés au Québec, la mesure constitue une malheureuse première au Canada. «C'est une atteinte à la neutralité d'internet, dit-il. C'est inquiétant, car ça ouvre éventuellement la porte à la censure», dit-il. Le filtrage pose aussi des contraintes techniques qui nécessitent des investissements pour les surmonter.

La meilleure solution

La solution préconisée par Québec est tirée presque mot pour mot du rapport du Groupe de travail sur le jeu en ligne, présidée par Louise Nadeau, qui s'en est réjouie, dans un entretien téléphonique hier.

«Je ressens un grand bonheur, parce que nous avons travaillé pendant trois ans avec des fonds publics, s'est-elle confié. On a essayé de dégager, à partir des ressources que nous avions, qu'elles étaient les meilleures pratiques en Occident en matière de jeu en ligne. En l'absence de modifications au Code criminel, la solution est effectivement de donner des contrats.»

En vertu du modèle proposé, «un joueur du Québec qui, par exemple, tenterait d'accéder directement à PokerStars.com serait automatiquement redirigé vers le portail gouvernemental à partir duquel il pourrait accéder aux jeux de PokerStars, explique-t-on dans le rapport Nadeau. Il en découle qu'un tel modèle représente une augmentation de l'offre légale de jeu en ligne rendue disponible aux Québécois.»

L'exemple italien

Mme Nadeau, professeure de psychologie à l'Université de Montréal, reconnaît qu'il est possible que la proposition de filtrer les sites illégaux fasse l'objet de poursuites devant les tribunaux.

«Ça pose tout un ensemble de questions de droit auxquelles nous n'avons pas répondu, car ça dépassait notre mandat, a-t-elle dit. Pourquoi en effet bloquer des sites de jeux illégaux et pas les sites de pornographie juvénile?», s'est-elle demandé à voix haute.

Ailleurs dans le monde, l'Italie bloque les sites de jeux illégaux. «Grâce à ces lois, plus de 2000 sites de jeu en ligne sont bloqués en Italie», lit-on dans le rapport du Groupe de travail sur le jeu en ligne.

Au Royaume-Uni, l'organisme régulateur, la Gambling Commission, s'attaque plutôt aux sites qui diffusent des publicités. «Si le site internet du quotidien The Guardian diffuse une publicité d'un site de jeu illégal, a donné en exemple sa présidente, la Gambling Commission menacera de poursuivre le Guardian

Amaya prête à négocier avec Loto-Québec

Le plus important exploitant de sites de poker en ligne de la planète, la québécoise Amaya qui exploite les sites PokerStars et Full Tilt, applaudit la volonté du gouvernement québécois de légaliser le jeu en ligne qui provient de l'entreprise privée.

«Nous avons lu le discours du budget avec beaucoup d'intérêt et nous sommes heureux de voir le gouvernement chercher des façons de travailler avec le secteur privé et ainsi contribuer à la croissance de Loto-Québec, au bénéfice des contribuables et de la protection des consommateurs», a écrit Amaya dans un courriel, transmis à La Presse Affaires par son directeur des communications Pierre-Paul Côté.

«Amaya est depuis un certain temps déjà un partenaire sous licence de Loto-Québec, en fournissant autant des jeux en ligne que terrestres.

«À titre de leader mondial des jeux en ligne, Amaya serait heureux d'élargir son partenariat avec Loto-Québec et participer au processus nécessaire pour devenir un fournisseur de jeu en ligne accrédité par Loto-Québec et aider à définir les futures orientations de jeux en ligne.»