En pleine commission Godbout, le gouvernement du Québec ne veut pas rendre publiques ses études internes sur la rentabilité de divers crédits d'impôt aux entreprises. Québec n'a dévoilé publiquement que la rentabilité fiscale d'un seul crédit d'impôt, celui du multimédia. Deux ex-ministres des Finances, Raymond Bachand (PLQ) et Nicolas Marceau (PQ), affirment pourtant à La Presse avoir basé plusieurs de leurs décisions en matière de crédits d'impôt sur des calculs de rentabilité fiscale effectués par le ministère des Finances.

Comme ministre des Finances du Québec, Nicolas Marceau se rappelle avoir reconduit à l'été 2013 le crédit d'impôt pour les affaires électroniques - dont bénéficie notamment la multinationale québécoise CGI - sur la foi des calculs du ministère des Finances montrant que la mesure fiscale «était nettement avantageuse pour le Québec».

«[Le crédit d'impôt] venait à expiration [...], et il y a eu des études à l'interne et à l'externe. [À la demande d'un regroupement d'entreprises,] Raymond Chabot Grant Thornton avait produit un document qui expliquait les avantages et les inconvénients, et la conclusion était que c'était nettement avantageux pour le Québec. Ça correspondait aux analyses qu'on avait à l'interne», a dit M. Marceau en entrevue à La Presse.

Le député péquiste de Rousseau ajoute qu'il «existe du travail qui a été fait [par Québec] pour mesurer la rentabilité et la performance des crédits d'impôt». «Je me suis vite rendu compte que, pris individuellement, les crédits d'impôt sont avantageux, a-t-il dit. C'est certain qu'on cherche des sous, mais je n'avais pas la preuve qu'on ne faisait pas une bonne affaire.»

Raymond Bachand, qui a occupé le poste de ministre des Finances de 2009 à 2012 au sein du gouvernement Charest, indique aussi avoir obtenu la rentabilité fiscale (les recettes fiscales par rapport au coût fiscal) de plusieurs crédits d'impôt avant de prendre certaines décisions, notamment sur le crédit d'impôt pour la production cinématographique qu'il a «ajusté à quatre reprises».

«L'industrie nous demandait des ajustements, notamment pour suivre d'autres juridictions, dit Raymond Bachand, aujourd'hui conseiller stratégique au cabinet d'avocats Norton Rose Fulbright. Chaque fois, le Ministère a vérifié que c'était rentable pour les contribuables. S'il y a une décision à prendre, on faisait une analyse.»

Lettre morte

Malgré la demande de La Presse, le ministère des Finances du Québec n'a pas dévoilé publiquement ses études internes sur la rentabilité fiscale des crédits d'impôt aux entreprises, notamment le crédit d'impôt pour les affaires électroniques et le crédit d'impôt sur le cinéma, deux crédits mentionnés expressément par MM. Marceau et Bachand. Québec publie chaque année lors du budget le coût fiscal de ses principaux crédits d'impôt aux entreprises, mais pas les recettes fiscales générées par les crédits d'impôt.

L'actuel ministre des Finances, Carlos Leitao, a indiqué que de nouvelles études commandées à la commission Godbout «pour évaluer les retombées de certains crédits d'impôt [...] seront rendues publiques en même temps que le rapport final de la Commission», a indiqué son attachée de presse, Andrée-Lyne Hallé.

En décembre 2013, le ministère des Finances avait rendu publique la rentabilité d'un premier crédit d'impôt aux entreprises: le crédit d'impôt pour la production multimédia (jeux vidéo), qui affichait une rentabilité de 10,6% en 2011 (recettes fiscales de 125 millions de dollars, coût fiscal de 111 millions). En mars 2013, une étude de Raymond Chabot Grant Thornton commandée par un regroupement d'entreprises a conclu que le crédit d'impôt pour les affaires électroniques a généré 148,6 millions (revenus fiscaux et parafiscaux) et coûté 233 millions au gouvernement du Québec en 2011.

En novembre 2013, La Presse a fait une demande d'accès à l'information pour obtenir la rentabilité des autres crédits d'impôt aux entreprises. En septembre 2014, La Presse a reçu une cinquantaine de documents, mais un seul sur la rentabilité d'un crédit d'impôt, celui pour la production multimédia qui avait été dévoilé publiquement en décembre 2013.

Lors d'une demande de renseignements subséquente (à l'extérieur du cadre de la Loi sur l'accès à l'information), le ministère des Finances a indiqué que «tous les documents accessibles en lien avec cette demande d'accès ont été traités et transmis conformément à la Loi» et que certains documents ne peuvent être communiqués «en raison de leur confidentialité, ou parce qu'ils peuvent être destinés au ministre des Finances ou échangés avec le gouvernement fédéral ou encore parce que les informations concernées sont de nature fiscale».

- Avec la collaboration de Serge Laplante