«Tout le monde se considère un peu comme l'exception, pour ne pas dire exceptionnel», a lancé à la blague le producteur Michel Bissonnette.

Cette boutade du président de Zone 3, l'une des plus importantes boîtes de production au Québec, résume bien les demandes des organismes de l'industrie culturelle qui ont défilé hier devant la commission Godbout: les crédits d'impôt consacrés à la culture, réduits de 20 % en juin dernier comme tous les crédits aux entreprises, ne devraient pas faire les frais de l'atteinte du déficit zéro, ont-ils tous plaidé.

«La fiscalité québécoise doit également servir à affirmer l'identité culturelle du Québec», dit l'actrice Sophie Prégent, présidente de l'Union des artistes. «Un gouvernement responsable doit prioriser les entreprises du secteur culturel au Québec. La culture, c'est important, c'est identitaire», dit Serge Sasseville, vice-président aux affaires corporatives et institutionnelles de Québecor.

«Nous ne sommes pas des partisans des coupes paramétriques», les a rassurés Luc Godbout, président de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, qui doit trouver des économies de 650 millions pour le gouvernement du Québec - davantage si elle annule la réduction de 20 % des crédits d'impôt décrétée par le budget du gouvernement en juin -, qui permettra à terme d'économiser 371 millions par an.

Québecor veut inclure les téléréalités

Derrière cette belle unanimité se cachent plusieurs divergences. À titre d'exemple, Québecor demande que les émissions de téléréalité et de jeux soient admissibles au crédit d'impôt à la production télé. L'entreprise demande aussi que sa maison de production affiliée TVA Productions soit admissible au crédit d'impôt, proposition à laquelle s'oppose l'Association québécoise de production médiatique (AQPM), qui représente les producteurs en télé et en cinéma. «Les diffuseurs ont d'autres sources de revenus que les nôtres», dit Marie Collin, PDG de l'AQPM.

Au grand écran, l'AQPM propose d'annuler la diminution de 20 % du crédit d'impôt seulement pour les dépenses de production au Québec, tandis que le Regroupement des producteurs de cinéma veut garder les règles actuelles permettant de dépenser 25 % du budget à l'étranger. «Ça va toucher tous les films qui ont représenté le Québec aux Oscars», a prévenu la productrice de films Denise Robert, qui a notamment à son actif la production des Invasions barbares, le film de Denys Arcand qui a remporté l'Oscar du meilleur film étranger en 2004.

Au petit écran, les producteurs associent le crédit d'impôt au «développement d'un star système québécois», selon Michel Bissonnette, de Zone 3. «Nous avons affaire à une mesure fiscale et une mesure culturelle», dit-il.

L'industrie québécoise des effets visuels, qui a bénéficié de l'arrivée de plusieurs multinationales comme Framestore et Technicolor depuis deux ans, affirme avoir besoin du crédit d'impôt au niveau d'avant juin 2014 pour continuer sur cette lancée. «Il est trop tôt pour reculer. On doit envoyer un message de stabilité aux décideurs [internationaux]. On a un système en émergence, on est en train de le bâtir», dit Jan-Fryderik Pleszczynski, président du studio Digital Dimension, qui fait valoir que les travailleurs de son industrie ont en moyenne 26 ans et un salaire annuel de 64 000 $.

La question du tournage de films hollywoodiens au Québec a aussi été abordée, un représentant syndical ayant lu une lettre d'un producteur des films X-Men - dont le prochain film sera tourné au Québec en 2015 - qui estime que l'ancien crédit d'impôt (avant la réduction de 20 %) permet tout juste au Québec de devancer d'autres États ou provinces.

L'économiste Pierre Fortin, qui a témoigné hier pour plusieurs syndicats de travailleurs dans le milieu culturel, estime que le gouvernement Couillard devrait se concentrer sur la gestion du réseau de la santé pour atteindre l'équilibre budgétaire. «C'est le secteur de la santé qui est la source du problème, dit-il. Depuis 2006, les dépenses de santé ont augmenté de 40 %, celles en culture, de 11 %. Il est singulièrement effronté que la réduction des dépenses nécessite des efforts de tous. On a un profond problème d'équité entre les diverses missions gouvernementales. La pire solution consisterait à laisser le secteur de la santé, 50 fois plus gros que la culture, continuer à écraser les autres missions de l'État.»