Sur le bord du fleuve en Gaspésie, autour des lacs des Laurentides, dans les quartiers centraux des grandes villes. Depuis plus de 10 ans, les groupes de citoyens exaspérés par la hausse de leur avis d'imposition réclament une réforme de la fiscalité municipale.

Mais si les impôts fonciers augmentent, c'est d'abord et avant tout à cause de l'ascension des dépenses des municipalités, démontre la nouvelle mouture du palmarès des municipalités de HEC Montréal.

«Le problème, ce n'est pas la fiscalité municipale, c'est la hausse des dépenses des municipalités, d'où l'intérêt de notre palmarès qui montre que les dépenses sont presque hors de contrôle», constate Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.

Entre 2009 et 2012, les dépenses totales par habitant dans les 10 plus grandes villes du Québec ont augmenté à un rythme annuel de 4%. Dans les villes de taille moyenne, la croissance est un peu plus modérée, mais oscille quand même autour de 3,5%.

C'est dans les plus petits patelins que la hausse des dépenses fait le plus sourciller. Dans les villages de moins d'un millier d'âmes, les dépenses par habitant ont gonflé de 6% par année, trois fois plus que le taux d'inflation durant cette période.

Au-delà des moyennes, la croissance est encore plus prononcée dans certaines villes. Par exemple, à L'Ancienne-Lorette, les dépenses par habitant ont augmenté de 13,4% par an depuis 2009. À Varennes et à Shawinigan, la hausse est de plus de 8% par année. Sept-Îles, Boisbriand, Valleyfield, Saint-Constant et Sainte-Julie affichent tous une croissance annuelle supérieure à 6%.

Et de nombreuses petites localités, comme Saint-Irénée, Tadoussac ou North Hatley, ont connu des hausses supérieures à 10% par année.

Hausse de 7 milliards

La hausse des dépenses des municipalités est une tendance lourde. Au cours de la dernière décennie, les dépenses annuelles des organismes municipaux ont bondi de 7 milliards, pour atteindre 17,7 milliards en 2010.

Il s'agit d'une croissance annuelle moyenne de 6%. Et certains postes de dépenses ont crû encore plus vite, comme la gestion des égouts et du réseau de distribution d'eau ou encore la culture et les loisirs.

Mais l'augmentation ne veut rien dire en soi, nuance Pierre J. Hamel, professeur spécialisé en finances publiques locales à l'INRS.

«Peut-être que c'est du gaspillage. Mais peut-être que les municipalités font juste du rattrapage parce qu'elles ne dépensaient pas suffisamment», dit-il.

Pendant des années, on dépensait insuffisamment à Montréal pour les égouts et le réseau de distribution d'eau, explique le professeur. «Ça donnait une belle figure, dit-il. Mais c'était scandaleusement à courte vue.»

Impact sur le citoyen

Que les dépenses soient justifiées ou non, leur croissance a un impact sur les citoyens dont les impôts fonciers grimpent pratiquement au même rythme: 5% par année.

«Il y a des gens qui commencent à être vraiment étouffés par leur compte de taxes», déplore Diane Lachaine, vice-présidente de l'Association des propriétaires fonciers du Québec. «Moi, je suis retraitée: je n'ai pas de hausse de revenus. Même les gens qui travaillent n'ont pas des augmentations de salaire aussi élevées», dit-elle.

Conseillère municipale à Saint-Faustin-Lac-Carré, elle a vu comment la municipalité bouclait son budget. Chaque secteur faisait part de ses besoins. On additionnait les montants, puis le budget était adopté.

Les citoyens s'appauvrissent

Après son arrivée, les élus ont donné un objectif très précis au personnel cadre: pas d'augmentation des dépenses supérieure à l'inflation ou 3%. «Ils ont trouvé ça beaucoup plus de travail!», lance Mme Lachaine.

Mais le contrôle des dépenses est essentiel, car la hausse des taxes qui en découle a des impacts vraiment importants, estime Mme Lachaine. Les citoyens s'appauvrissent. Les commerces ferment.

En effet, les entreprises subissent encore plus durement la hausse des impôts fonciers. Le taux d'imposition du non-résidentiel est 2,4 fois plus élevé que celui du résidentiel dans les 100 plus grandes villes du Québec. À Montréal, il est quatre fois plus élevé. Cela signifie qu'au lieu de payer 3000$ d'impôt pour une résidence, le commerçant paiera 12 000$ pour la même valeur foncière.

«Ça fait vraiment mal!», s'exclame Martine Hébert, vice-présidente principale à la Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI). «On voit que dans certains arrondissements, il est de plus en plus difficile de maintenir des petits commerces de proximité qui assurent le dynamisme dans les collectivités.»

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La faute de Québec, répliquent les villes

Même si leurs dépenses augmentent bien au-delà de l'inflation et de la croissance démographique, les municipalités se défendent d'être des paniers percés.

Elles se disent coincées par les ordres de gouvernement supérieurs qui leur imposent de nouvelles obligations sans leur verser le financement requis.

«Québec impose des cibles, mais ce sont les municipalités qui doivent mettre le plan d'action en marche pour les atteindre», dénonce Joël Bélanger, conseiller aux politiques à l'Union des municipalités du Québec (UMQ).

Des exemples? La protection des milieux humides, l'assainissement des eaux, le développement des transports en commun pour lutter contre les gaz à effet de serre.

«L'objectif est fort louable. Mais ce sont quand même les villes qui sont prises à assumer les coûts», dit M. Bélanger.

Un autre cas: les MRC ont dû adopter des schémas de sécurité incendie. L'objectif de Québec était d'assurer une qualité de service et un délai de réponse raisonnable, partout sur le territoire du Québec.

«Mais c'est venu aussi exercer de la pression sur les dépenses, surtout dans les plus petites villes», explique Martin Lessard, directeur général de Victoriaville.

«L'éventail des responsabilités qui sont confiées aux municipalités est de plus en plus large, dit-il. Les paliers supérieurs de gouvernement demandent aux municipalités d'accomplir davantage que ce qu'elles faisaient avant, sans faire suivre les revenus pour les financer.»

Réforme fiscale

Pour alléger le poids des impôts fonciers, les villes réclament une réforme en profondeur de la fiscalité municipale, pas juste le renouvellement de l'actuel pacte fiscal qui prévoit déjà le versement par Québec de sommes d'argent aux municipalités.

«Les impôts fonciers ne respectent pas la capacité de payer des contribuables et ils freinent les investissements des entreprises», affirme M. Bélanger. Pour permettre aux municipalités de diversifier leurs sources de revenus, Québec pourrait notamment leur transférer une partie des impôts sur le revenu ou de la taxe de vente, avance l'UMQ.

Mais dans un document d'information publié en septembre, la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise rappelle le bien-fondé des impôts fonciers qui sont une source de taxation plus stable et prévisible que les impôts sur le revenu et les taxes de vente et aussi peu propices à l'évasion fiscale.

De plus, l'impôt sur la propriété, qui inclut l'impôt foncier, est le seul champ fiscal qui est moins occupé au Québec qu'en Ontario, pointe la Commission.

Mais pour l'UMQ, il s'agit là d'une demi-vérité. Dans les faits, l'impôt foncier provincial est davantage utilisé pour financer le secteur scolaire en l'Ontario. En prenant en compte uniquement l'impôt municipal, on constate qu'il est davantage utilisé par les municipalités du Québec que par celles de l'Ontario.

Contrôler les dépenses

Mais ce débat fiscal fait sourire bien des observateurs.

«Diversifier les sources de revenus des municipalités? Il y a une source de revenus pour tout le monde: c'est vous et moi!», lance Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.

«Alors, arrêtez de faire un show de boucane et concentrez-vous sur les vraies choses, c'est-à-dire contrôler les dépenses et offrir de bons services aux citoyens, dit-il. La solution n'est pas de pomper plus d'argent dans le système, mais de le rendre plus efficient.»

Même son de cloche de la part de Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI). «Diversifier les sources de revenus, c'est comme changer quatre 25 cents pour une piastre, dit la vice-présidente Martine Hébert. Ça ne fera pas en sorte que les municipalités vont être plus efficaces dans leur gestion.»

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Et le pacte fiscal?

Les négociations avec Québec entourant le renouvellement du pacte fiscal sont au point mort. Principale pierre d'achoppement: la taxe de vente du Québec (TVQ). L'entente prévoyait le versement de sommes par Québec entre 2007 et 2013 pour le remboursement de la TVQ payée par les municipalités. Ultimement, les municipalités s'attendaient à ce que Québec leur rembourse 100% de la taxe. Or, le montant qui était plafonné à 472 millions pour 2013 s'est avéré bien en dessous de 100%. Pour 2014, ce montant avoisinera 850 millions. C'est que dans l'intervalle, Québec a haussé la TVQ de 7,5% à 9,975%, entraînant une augmentation des dépenses des municipalités, sans compensation, dénonce l'Union des municipalités du Québec. De plus, les villes ont haussé leurs dépenses en infrastructures au-delà de ce qui était prévu dans le pacte.

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HAUSSE MOYENNE DE 4%

Dépenses totales par habitant

Municipalité - Hausse annuelle - Dépenses

Québec - 5,9% - 2095$

Saguenay - 5,4% - 1808$

Sherbrooke - 5,3% - 1454$

Gatineau - 4,6% - 1910$

Lévis - 4,1% - 1537$

Trois-Rivières - 3,7% - 1626$

Terrebonne - 3,6% - 1537$

Montréal - 3,2% - 2266$

Longueuil - 2,5% - 1542$

Laval - 1,3% - 1686$

Moyenne - 4,0% - 1746$