Deux ans et demi après l'éclatement de scandales de corruption qui l'ont ébranlée jusqu'à ses fondations, SNC-Lavalin continue de recevoir de nombreuses plaintes à propos d'agissements douteux.

Depuis le début de l'année, le géant de l'ingénierie a ouvert 81 dossiers d'éthique après avoir reçu des dénonciations de la part de salariés ou de partenaires d'affaires. Si la tendance se maintient, l'entreprise aura lancé autant d'enquêtes en 2014 que l'an dernier, soit 108.

En 2012, SNC n'avait ouvert que 25 dossiers. En 2011, avant les scandales, il y en avait eu quatre à peine.

«Je pense que ça a augmenté parce que nous avons mis en place un programme qui fait en sorte que les gens sont à l'aise de rapporter ce qu'ils savent. C'est une bonne chose. Je dis sans cesse aux gens qu'il faut s'inquiéter si la ligne d'éthique ne reçoit aucun appel», affirme en entrevue à La Presse Affaires le nouveau chef de la conformité de SNC-Lavalin, David Wilkins, en poste depuis juin.

L'avocat américain tient d'ailleurs à préciser que depuis quelques mois, le code de conduite de l'entreprise stipule que les employés ont l'obligation de signaler tout manquement à l'éthique.

Le service des enquêtes de SNC est dirigé par Lino Maurizio, un enquêteur de la Sûreté du Québec en congé sans solde depuis la fin de 2013. Jusqu'ici, les enquêtes déontologiques se sont traduites par 394 «recommandations» formulées à l'entreprise. Elles prennent généralement la forme d'avertissements ou de sanctions disciplinaires à l'endroit des salariés fautifs. M. Wilkins refuse toutefois de dire si SNC a procédé à des congédiements.

On sait toutefois qu'en décembre dernier, la firme a montré la porte à Michel Labbé, qui était le vice-président responsable des régions de Québec et l'Est-du-Québec. Dans une poursuite déposée cet été, M. Labbé soutient avoir dénoncé à ses patrons des stratagèmes de collusion dès 2006. Il a tenté de participer au programme d'amnistie mis en place par SNC-Lavalin l'an dernier, mais sa demande a été rejetée.

Soucieuse de rétablir sa réputation, l'entreprise se fait très discrète sur les nouveaux cas d'inconduite qu'elle découvre. Elle préfère se concentrer sur les mesures de surveillance qu'elle met en place pour éviter qu'un nouveau scandale d'envergure ne voie le jour. Les données sur les plaintes ont été divulguées dans une présentation remise à des analystes financiers la semaine dernière et postée discrètement sur le site web de SNC.

Rapports secrets

Dans le document, on apprend en outre que l'avocat américain mandaté par la Banque mondiale pour surveiller SNC-Lavalin, Joseph Covington, s'est déplacé en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis pour observer les pratiques de l'entreprise là-bas. D'autres visites sont prévues en Pologne et en Afrique du Sud. Me Covington a aussi réalisé un examen des projets de SNC qui ont été financés par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.

Jusqu'ici, Joseph Covington a remis trois rapports à SNC-Lavalin et à la Banque mondiale. Celle-ci a mandaté l'avocat l'an dernier, après avoir inscrit SNC sur sa liste noire pour avoir offert des pots-de-vin au Bangladesh. Un résumé de ses constatations a récemment été remis au ministère des Affaires étrangères du Canada.

«Nous apprécions l'appui que nous recevons de la part des diplomates canadiens [pour l'obtention de projets à l'étranger], et le Ministère veut simplement s'assurer que la réputation du Canada est protégée», explique David Wilkins.

Ni SNC-Lavalin ni la Banque mondiale ne veulent rendre publics les rapports rédigés par Joseph Covington. Dans sa présentation aux analystes, SNC se contente d'en citer un extrait: «SNC-Lavalin a fait de grands progrès pour remédier aux inconduites du passé et pour instaurer de solides politiques et procédures visant à empêcher de nouvelles inconduites.»

M. Wilkins glisse néanmoins que les rapports contiennent «un grand nombre de recommandations». L'une des plus récentes suggère à SNC de resserrer ses règles sur les conflits d'intérêts. Ceci dit, l'entreprise n'a pas l'intention de mettre en oeuvre toutes les recommandations que lui adresse le surveillant de la Banque mondiale. «Il n'est pas là pour nous dire comment mener nos affaires», lance le chef de la conformité.

Les partenaires sous la loupe

Par ailleurs, afin d'éviter que des fournisseurs, des consultants, des avocats ou des intermédiaires ne l'entraînent dans des situations problématiques, SNC-Lavalin les soumet désormais à des vérifications en matière d'éthique (due diligence).

Jusqu'ici, l'entreprise a soumis un peu plus de 2000 partenaires d'affaires à cet exercice. Du lot, 1871 ont été jugés à faible risque, 112, à risque modéré et 41, à risque élevé. SNC a décidé de rompre ses liens avec 11 de ces partenaires, estimant qu'ils présentaient un risque inacceptable.