Jody Drapkin avait 28 ans et portait une minijupe noire et un chemisier en guise d'uniforme de travail quand elle a porté plainte contre son ancien employeur, le populaire club de danseuses nues Wanda's, à Montréal.

Aujourd'hui âgée de 45 ans, l'ex-serveuse devenue ménagère et qui s'habille maintenant en survêtements, vient tout juste de recevoir, après un long feuilleton, une indemnité de Wanda's pour des heures et des congés non payés, entre autres. Mais elle n'a reçu que le quart de la somme à laquelle elle avait droit, comme les 80 autres employés qui ont reçu leur paiement final en mai.

«C'est un très mauvais film, estime Johanne Tellier, directrice du Centre juridique de Montréal de la Commission des normes du travail du Québec. C'est très décevant pour les salariés.»

Au cours des 15 dernières années, la Commission a remporté deux jugements contre le Wanda's, pour une indemnité finale de 107 000$ - plus les intérêts - en faveur de Mme Drapkin et de 80 employés actuels et anciens (serveuses, plongeurs, aides-serveuses). Ils n'ont touché au final que 38 000$.

Actif, mais incapable de payer

Fondé en 1977 par l'homme d'affaires Sam Moutsios, le club situé au centre-ville, à l'angle du boulevard de Maisonneuve et de la rue de la Montagne, n'a jamais fermé ses portes pour une période prolongée.

Pourtant, les deux entreprises à numéro qui ont exploité le complexe de bar, restaurant et lieu de spectacle prétendaient être dans l'incapacité de payer l'indemnité à cause de «difficultés financières».

La première entreprise a fait faillite en 2002, quelques années après l'ouverture d'une enquête par la Commission en 1999.

Et à la suite du jugement obtenu de la Cour d'appel en 2010, la deuxième entreprise s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, note Mme Tellier. L'entreprise à numéro a imputé ses difficultés financières au jugement remporté par la Commission.

Elle a alors offert de rembourser seulement 25% des dettes et la proposition a été acceptée par les créanciers.

«Le paiement qui fait suite à cette proposition a été effectué en mai, donc les créanciers comme la Commission ne peuvent plus continuer les procédures pour le solde impayé», déplore Mme Tellier.

Un «cas extrême»

Selon Mme Tellier, le dossier du Wanda's était un «cas extrême», non seulement en raison de la longueur du délai, mais parce que les activités du club n'ont jamais cessé malgré ses difficultés.

Elle explique que l'immeuble ainsi que les entreprises appartenaient à des sociétés enregistrées par différents membres de la famille de M. Moutsios. La Commission n'a donc pas pu «faire vendre la bâtisse» parce qu'elle appartenait à une autre entreprise que celle impliquée dans le jugement.

«Malheureusement, c'est ça, le droit corporatif», dit-elle.

Des démarches injustes, selon M. Moutsios

Pour sa part, Sam Moutsios, un septuagénaire, qui travaille encore chez Wanda's, estime que les démarches entreprises contre le club n'étaient pas justes et qu'il a un très bon rapport avec ses employés.

Une serveuse au bar a confié à une journaliste qu'elle travaille chez Wanda's depuis 19 ans et qu'elle est très contente de ses conditions d'emploi.

«La Commission a des milliers de cas, plaide M. Moutsios. La compagnie qui a fait faillite n'était pas la mienne. Elle n'a rien à voir avec moi.»

Par contre, dans sa décision, la juge de la Cour d'appel Marie-France Bich a qualifié les actionnaires des entreprises de «prête-noms» pour M. Moutsios.

«On peut donc conclure que [les entreprises] masquent en fait M. Moutsios, âme dirigeante d'une entreprise qui est la sienne et qui n'a jamais été exploitée par un autre que lui, sauf en apparence», a écrit la juge.

Quant à Mme Drapkin, qui habite maintenant aux États-Unis, elle se dit très déçue.

Elle a dépensé presque la moitié de son paiement de 2400$ en frais de déplacement à Montréal pour aller témoigner.

«Je pense avoir été arnaquée », conclut-elle.