Que vaut le travail des hauts dirigeants des plus grandes entreprises du Québec inc. en Bourse? Plusieurs millions de dollars par année en salaires et en primes diverses, selon la «politique de rémunération de dirigeants» décidée et gérée par leur conseil d'administration respectif.

>>> Tableaux des salaires des patrons et dirigeants de Québec inc.

Pas si sûr, quand on examine les critères utilisés pour déterminer ces rémunérations, entend-on plutôt parmi les actionnaires activistes et les analystes en gouvernance d'entreprises.

Quant aux actionnaires de ces entreprises, en ont-ils pour leur argent par rapport à la performance de leurs dirigeants et aux résultats de leur plan d'affaires?

La réponse dépend évidemment des facteurs et du contexte d'affaires dans chaque entreprise, constatent des analystes d'expérience comme Yvan Allaire, premier président de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP).

«Les politiques de rémunération se sont améliorées au fil des ans en termes de divulgation et d'un meilleur alignement avec les performances de gestionnaire de ces dirigeants d'entreprise. Néanmoins, il y a encore des lacunes importantes à corriger, notamment en ce qui concerne le choix des critères de détermination», selon M. Allaire.

Par exemple, dit-il, la plupart des politiques de rémunération des hauts dirigeants comprennent une part trop importante de primes en titres de l'entreprise, comme les options d'achat d'actions. De telles primes auraient tendance à exagérer l'importance accordée aux résultats et à la valeur boursière à court terme, plutôt qu'à moyen et à long terme.

Par ailleurs, estime aussi Yvan Allaire, l'usage généralisé par les conseils d'administration de «groupes d'entreprises de comparaison» dans la politique de rémunération des hauts dirigeants aurait accentué l'inflation des valeurs attribuées.

«En obligeant les entreprises à divulguer en détail la rémunération de leurs cinq dirigeants les mieux payés, les autorités boursières avaient aussi l'intention de rendre les cadres «trop payés» un tantinet gênés. Or, on constate maintenant que c'est le contraire qui s'est produit», explique M. Allaire.

«Cette divulgation est devenue un véritable «badge d'honneur» parmi des hauts dirigeants d'entreprise. Certains s'en servent pour se comparer entre eux et tenter d'obtenir davantage de la part de leur conseil d'administration.»

Facteurs atténuants

En contrepartie, Yvan Allaire note que l'inflation de la rémunération des dirigeants d'entreprise semble s'atténuer face à deux phénomènes qui découlent des interventions d'actionnaires revendicateurs.

D'une part, l'ordre du jour de la plupart des assemblées des actionnaires comprend désormais un «vote consultatif» sur la politique de rémunération des hauts dirigeants.

«C'est encore trop peu contraignant, à mon avis, au point d'être utilisé comme chèque en blanc par certains conseils d'administration. Mais, au moins, si les votes "contre" s'avèrent beaucoup plus nombreux que prévu, ça peut inciter les administrateurs à en tenir compte et à modifier la politique de rémunération des dirigeants.»

Par ailleurs, note M. Allaire, des gestionnaires de gros portefeuilles boursiers, comme les fonds communs d'investissement et les caisses de retraite, hésitent moins à se manifester publiquement, parfois juste avant une assemblée des actionnaires, lorsqu'ils sont mécontents de la rémunération des dirigeants de l'entreprise concernée.

«Ils sont encore trop peu à oser le faire, mais leur nombre s'accroît néanmoins. Et lorsqu'ils se manifestent, on voit de plus en plus que leur impact peut être considérable et rapide», selon le président de l'IGOPP.

Il mentionne en exemple ce qui s'est passé chez le géant aurifère Barrick au cours de son assemblée des actionnaires de l'an dernier, alors que l'entreprise faisait face à une crise du prix dans l'or.

Juste avant l'assemblée, quelques gros actionnaires de Barrick, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec, avaient critiqué publiquement la rémunération de 17 millions US allouée au nouveau président, l'Américain John Thornton.

À l'assemblée des actionnaires, cette critique a mené à un vote très négatif envers la politique de rémunération, du jamais-vu jusqu'alors dans les annales d'affaires au Canada.

Un an plus tard, à son assemblée du mois dernier, Barrick a confirmé une révision significative des critères de rémunération de ses dirigeants dès cet exercice 2014. Et avec la promesse d'autres resserrements au cours des prochaines années.

Comment jauger la politique de rémunération des dirigeants?

Trois facteurs sont importants, selon Yvan Allaire, premier président de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP).

1) De quoi se composent les primes incitatives, devenues une portion dominante de la rémunération totale des hauts dirigeants?

Selon M. Allaire, une grande portion d'options d'achat d'actions, par rapport à des titres réels comme des actions, tend à isoler les hauts dirigeants du risque de perte dans leur avoir personnel en cas de mauvaise tournure de leur plan d'affaires.

2) Quelle est la variabilité des bonis et des primes aux dirigeants, d'un exercice financier à l'autre?

Selon M. Allaire, il faut que ces primes et bonis incitatifs soient vraiment variables en fonction des objectifs et des résultats de chaque exercice. Et non être alloués de façon récurrente, avec trop peu de variabilité, comme le font beaucoup de conseils d'administration d'entreprises.

3) Comment se compose le groupe d'entreprises de comparaison et de référence pour la rémunération de leurs dirigeants?

Selon M. Allaire, il faut rechercher la vraie similarité d'activités, d'envergure et de nationalité (Canada, États-Unis) des entreprises comparées. S'il est trop peu ciblé, un groupe d'entreprises de référence peut alimenter l'inflation de rémunération de dirigeants.