Le président de l'entreprise Delmar, qui a annoncé sur Facebook qu'il fêterait une défaite du Parti québécois en accordant un congé à ses employés, a fini par s'excuser, hier en fin de journée. Mais il n'a pas indiqué s'il allait tout de même offrir le cadeau controversé promis la veille.

«Si le Parti québécois devait perdre le pouvoir demain [hier], Delmar célébrera en offrant à tous ses employés canadiens une journée de congé supplémentaire cette année», affirmait le message unilingue anglais signé par le président et chef de la direction, Robert Cutler, et mis en ligne dimanche. Le dirigeant ajoutait que les propriétaires et les actionnaires de l'entreprise sont «fortement opposés» aux politiques de «l'actuel gouvernement séparatiste».

Le message a été retiré vers 10h30 hier, après avoir suscité de nombreux commentaires sur Facebook et Twitter. Certains internautes accusaient Robert Cutler de vouloir acheter des votes. D'autres dénonçaient ce geste «antidémocratique» et appelaient au boycottage. Plusieurs ont publié le numéro de téléphone de l'entreprise, lui souhaitant un tsunami d'appels.

Toute la journée, Delmar semblait effacer les messages écrits sur sa page Facebook au fur et à mesure. Quand on cliquait sur «afficher les commentaires», aucun n'apparaissait.

Excuses

Le directeur d'un des bureaux régionaux a raconté à La Presse que ses employés et lui croyaient que c'était un canular. «Ce n'est pas son style [au président] de s'afficher ouvertement. [...] Je n'ai jamais eu de conversation politique avec lui. [...] Ça m'a jeté par terre.»

Finalement, Robert Cutler s'est excusé en français et en anglais sur Facebook.

«Ce n'était pas mon intention d'influencer votre vote. Nous sommes avant tout une société démocratique et vous avez bien sûr la liberté d'exercer votre choix. Mes opinions sont personnelles et je respecte les vôtres. Je vous présente donc mes excuses et mes regrets si vous vous êtes sentis intimidés, influencés ou offensés. Ceci n'était pas mon intention.»

Personne chez Delmar n'a rappelé La Presse. Le président n'accordait pas d'entrevue, a fait savoir la réceptionniste.

Le responsable des communications est nul autre que l'ancien joueur du Canadien Mathieu Darche. Il affirme sur son profil LinkedIn être le directeur du développement et le responsable des relations publiques de Delmar. Il ne nous a pas rappelée. Actif sur Twitter, il n'avait pas commenté l'affaire, hier, au moment de mettre sous presse.

Delmar possède 10 bureaux au Canada, 9 aux États-Unis, 16 en Asie et 1 au Brésil. L'entreprise dit être «le courtier en douane le plus novateur et le plus chevronné en Amérique du Nord». Selon le Registraire des entreprises du Québec, ses propriétaires sont les familles Cutler et Wagen. Ses principaux administrateurs sont d'ailleurs Robert Cutler, Michael Wagen et Paul Cutler. L'entreprise compte «entre 100 à 249» salariés dans la province.

Pas un cas unique

Toute cette histoire n'est pas sans en rappeler deux autres, dans la même veine. Le président de l'entreprise de transformation du bois Goodfellow, à Delson, a demandé à ses 600 employés de ne pas voter pour le PQ. «La santé de la compagnie, nos emplois et notre futur sont en jeu», leur a-t-il écrit.

À Amos, le propriétaire de la résidence pour personnes âgées Les Jardins du Patrimoine a enjoint à ses pensionnaires de voter libéral «afin que vous, moi et vos enfants puissent continuer de profiter des avantages d'être canadien». Le député péquiste sortant, François Gendron, a porté plainte auprès du Directeur général des élections.

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Qu'en pensent les experts en communication?

«C'est un peu irresponsable de la part d'un président de vouloir influencer le vote. En plus, c'est enfantin et illusoire. [...] S'il pense que c'est bon pour son entreprise, il se trompe. On demande énormément de retenue de la part des dirigeants et de la transparence dans la gestion de crise. Ce n'est pas fort.»

- Jean-Jacques Stréliski, professeur associé, HEC Montréal

«Effacer le message, ça veut dire qu'on le regrette, qu'on craint les conséquences ou qu'on n'a pas le courage fondamental de son opinion. Il faut réfléchir avant d'agir!»

- Jean-Jacques Stréliski, professeur associé, HEC Montréal

«C'est une entreprise inconnue, alors d'un point de vue de la gestion de la réputation, les impacts seront minimaux. Si ç'avait été une entreprise connue, il aurait fallu agir. Mais c'est une entreprise qui est dans le B-to-B [business to business], alors ça va être oublié demain matin.»

- Marc D. David, professeur, Université de Sherbrooke