Une certaine nervosité dépourvue de panique est palpable depuis le début de la semaine sur les marchés obligataires, où investisseurs et spéculateurs tentent d'apprécier l'entrée de Pierre Karl Péladeau dans l'arène politique au sein de l'équipe de Pauline Marois.

Cette fébrilité paraît nourrie par les médias anglophones qui font leurs choux gras de la candidature-surprise du propriétaire de Québecor en conjecturant sur la probabilité d'un troisième référendum sur la souveraineté en quelque 35 ans.

L'écart de rendement entre les obligations du Québec et celles de l'Ontario venant à échéance dans 10 ans s'est élargi quelque peu depuis le 5 mars, jour du déclenchement des élections. Il se situe aux environs de 17-18 centièmes.

Celui de l'échéance de 30 ans a augmenté de près de 2 points centésimaux, ce qui est notable, sans être catastrophique.

Avant la plongée de M. Péladeau, les écarts de rendement entre les obligations du Québec et celles du Canada avaient commencé à s'élargir sur le marché primaire, à mesure que le Parti québécois grimpait dans les intentions de vote.

Ainsi, Québec avait consenti un écart de 98,5 centièmes entre son obligation venant à échéance en 2045 et une obligation canadienne comparable, lors d'un emprunt de 500 millions de dollars, le 9 janvier.

Le 5 février, l'écart était passé à 106,5 points pour une émission de dette similaire. Heureusement, le prix des obligations canadiennes avait beaucoup baissé dans l'intervalle, de sorte que l'emprunt de février a coûté moins cher que celui de janvier.

Le Québec n'a pas émis de dette depuis.

L'usage veut que la province n'emprunte pas durant une campagne électorale. À la mi-avril, il se sera donc écoulé neuf semaines lorsque le ministère des Finances aura les coudées franches pour financer de nouvelles tranches de ses besoins d'emprunt estimés à 15,4 milliards en 2014-2015.

En principe, une aussi longue absence devrait stimuler la demande et réduire les écarts de rendements, toutes choses étant égales par ailleurs (ceteris paribus sic stantibus, aurait précisé Bernard Landry).

Or, depuis lundi, c'est aussi sur le marché secondaire qu'on demande aux courtiers de plus amples renseignements sur l'importance qu'il faut attribuer à cette candidature surprenante.

Il y a peu d'offres de vente jusqu'ici, mais il faut rappeler que c'est semaine de relâche en Ontario (et sur Bay Street). Bon nombre de courtiers et de gestionnaires préfèrent se dorer la couenne avant de se gratter la tête.

N'empêche.

On craint que l'arrivée de M. Péladeau ne renforce le camp souverainiste. Si le propriétaire de Québecor avait fait le saut en politique pour assainir les finances publiques, sa réputation d'opiniâtreté aurait plutôt entraîné un rétrécissement des écarts de rendement.

L'expérience de deux référendums montre cependant que l'assainissement des finances n'est pas un bon argument pour faire voter les Québécois pour la souveraineté, l'indépendance ou la séparation. (Les détenteurs de la dette brute de quelque 200 milliards du Québec ne s'embarrassant pas de ce genre de nuances.)

L'élection d'un gouvernement majoritaire sous le leadership de Jacques Parizeau, en 1994, avait porté l'écart Québec-Ontario sur l'échéance de 10 ans à plus de 40 centièmes. Cet écart était même grimpé à 50 centièmes au lendemain du référendum du 30 octobre 1995, veille d'une Halloween cauchemardesque au Canada anglais.

Il était passé sous les 10 centièmes après l'élection des libéraux en 2003, mais avait monté jusqu'à 17 centièmes durant le printemps érable, soit à peu près son niveau actuel.

Plus la souveraineté gagnera en popularité, plus l'écart de rendement se creusera, si le passé est garant de l'avenir.

La donne est cependant différente cette fois-ci: la majorité de la dette du Québec est aux mains de non-Canadiens, dont on ne connaît pas les visées lorsqu'ils en ont acquis des tranches.

Que pense, par exemple, la Banque populaire de Chine de l'indépendance du Québec? Ou la Banque d'Angleterre de Mark Carney, ouvertement opposé à la séparation de l'Écosse?

À suivre...