Partout dans le monde industrialisé, le taux de syndicalisation est en baisse et l'influence des syndicats diminue. Au Québec, où les syndicats en ont toujours mené large, leur crédibilité et leur utilité sont aussi remises en question, «Les unions, qu'ossa donne?», comme se demandait Yvon Deschamps.

Roger Émond, 28 années de recrutement syndical derrière la cravate, trouve son travail de plus en plus difficile. Cette année, en particulier, lui fait un peu peur. «En 2014, ce ne sera pas facile», prévoit-il.

Son employeur, la FTQ, plus importante centrale syndicale du Québec, est en vedette depuis le début de l'année à la commission Charbonneau. Le fonds d'investissement de la FTQ, qui gère l'argent mis de côté par les travailleurs en vue de la retraite, a fricoté avec toutes sortes d'entrepreneurs peu recommandables, certains liés à la mafia et au crime organisé.

Le Fonds de solidarité FTQ, c'est le meilleur argument de vente de Roger Émond. Ça prouve que la FTQ n'est pas un syndicat ordinaire, dit-il. Défendre les travailleurs, tous les syndicats le font, mais pas investir dans les entreprises. «On sauve des entreprises et des emplois. C'est incroyable, comme c'est un bon argument.»

De bons arguments, tous les syndicats en ont besoin ces temps-ci. Le taux de syndicalisation est à la baisse partout dans le monde industrialisé. Aux États-Unis, il est à son niveau le plus bas depuis 100 ans. Le Québec ne fait pas exception. Dans la province, la proportion de syndiqués a aussi baissé, pour ensuite se stabiliser à cause de l'importance du secteur public dans l'économie. Dans le secteur privé, la dégringolade est importante.

La grève, arme ultime des syndicats pour défendre les travailleurs, est de moins en moins utilisée. Le nombre de conflits de travail a été réduit de moitié depuis 10 ans.

Consolidation

Cette dure réalité a conduit les organisations syndicales à faire ce que toutes les entreprises font quand elles font face à des difficultés, c'est-à-dire rationaliser et consolider leurs activités.

Les Travailleurs canadiens de l'automobile et le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, deux syndicats affiliés à la FTQ, se sont regroupés pour former une seule entité, Unifor.

La CSN a fusionné deux de ses regroupements, la Fédération de la métallurgie et la Fédération des travailleurs de l'industrie du papier, en un seul, la Fédération de l'industrie manufacturière.

Pour les syndicats, la baisse de régime est surtout le résultat de la perte d'emplois dans le secteur manufacturier, généralement très syndiqué. Le secteur des pâtes et papiers a perdu le tiers de ses emplois au cours des 10 dernières années.

Les nouveaux emplois dans le secteur des services, comme le commerce de détail, sont plus difficiles à atteindre pour les syndicats. La lutte de la CSN pour syndiquer les employés de Couche-Tard et celle encore plus dure que la centrale a menée au géant américain Walmart sont des exemples des défis actuels de la syndicalisation.

D'autres activités sont encore plus réfractaires à la syndicalisation.

Aucun syndicat, par exemple, n'a réussi à mettre le pied dans une des industries qui créent le plus d'emplois, les technologies de l'information et le jeu vidéo. «C'est très difficile», reconnaît Yves Rivard, coordonnateur du service de la syndicalisation de la CSN, l'autre grande centrale syndicale québécoise, qui a testé ces eaux hostiles.

Dans l'industrie du jeu vidéo, les employés pensent qu'ils n'ont pas besoin d'un syndicat pour améliorer leur sort, dit-il. «Les gens ont l'impression qu'avec les connaissances qu'ils ont, ils vont pouvoir monter dans la hiérarchie de l'entreprise.»

Les concepteurs de jeux vidéo ne sont pas les seuls à se poser la célèbre question d'Yvon Deschamps: les unions, qu'ossa donne?

Des petits salariés, des travailleurs autonomes et même des membres en règle des organisations syndicales actives au Québec se demandent aujourd'hui à quoi servent ces bureaucraties et leurs dirigeants bien payés. L'animateur de radio Éric Duhaime, auteur du pamphlet Libérez-nous des syndicats!, prêche à un public de convertis de plus en plus large quand il affirme, au sujet des dirigeants syndicaux: «On a souvent l'impression [...] qu'ils mènent la vie des gens riches et célèbres. [...] Ils ont des revenus dans les six chiffres. Ils sont copains-copains avec l'élite financière et politique.»

Les révélations de la commission Charbonneau n'aident pas les syndicats à redorer leur image. Dans l'opinion publique, la perception des syndicats se dégrade depuis un certain temps déjà, observe Christian Bourque, vice-président de Léger Marketing. «Depuis le tournant des années 2000, la crédibilité qu'on accorde aux dirigeants syndicaux est en baisse», dit-il.

Les syndicats ont été des agents de changements sociaux importants dans le passé, mais leur utilité est remise en question aujourd'hui, selon ce spécialiste de l'opinion publique. «Pour les plus jeunes générations, le syndicat n'a plus la même pertinence.»

Ce qui se passe à la commission Charbonneau ne nuit pas seulement à la FTQ, mais aussi à tout le mouvement syndical, estime M. Bourque.

Le discours du Conseil du patronat (CPQ) est un autre bon indice de la perte d'influence des syndicats. Il ne parle pratiquement plus de relations de travail dans son discours public.

Son président explique que ça ne signifie pas que le CPQ ne s'intéresse pas aux relations de travail, mais plutôt que le sujet est moins d'actualité.

Le fait est que le climat de travail est plutôt bon au Québec, dit Yves-Thomas Dorval.

Les syndicats sont moins influents, mais ça s'explique, selon lui. «Les gens sont plus éduqués et mieux informés. Ils sont plus en mesure d'obtenir de meilleures conditions de travail sans l'aide d'un syndicat. Ils sont aussi plus individualistes», estime le président du CPQ.

Les normes du travail sont aujourd'hui très complètes, grâce aux syndicats, et les gains qui restent à faire sont limités. Enfin, les employeurs ont appris à mieux considérer leurs ressources humaines, un changement qui ira en s'amplifiant avec la rareté de la main-d'oeuvre qui s'annonce. «Le rapport de force des employés deviendra plus grand», prévoit le président du CPQ.

En attendant, les syndicats se sont donné le mot pour combattre le «vent de droite» qui souffle sur le Québec, en provenance du bureau de Stephen Harper ou de celui du maire de Québec, Régis Labeaume.

Inégalités : une bombe à retardement

Qui est le président de la CSN? Non, ce n'est pas Gérald Larose, mais le fait que beaucoup de gens se souviennent encore de l'ancien président et ignorent le nom du président actuel, Jacques Létourneau, est un signe que le syndicalisme n'a plus le poids qu'il a déjà eu au Québec.

Nous en avons discuté avec Gérald Larose, qui a été président de la Confédération des syndicats nationaux de 1983 à 1999.

Q Le syndicalisme est en crise partout dans le monde. Pourquoi?

R C'est vrai que le mouvement syndical, en Occident, est sur la défensive depuis la grande crise des années 80 et la mondialisation. Il faut effectivement conclure qu'il y a une crise, mais pas une crise syndicale. Il y a une crise du travail. Il y a quelque chose qui se défait et quelque chose de nouveau qui se met en place dans le monde du travail.

Q Le Québec a-t-il moins besoin des syndicats aujourd'hui?

R Le Québec résiste étonnamment bien [à la baisse mondiale de la syndicalisation]. On parle de l'érosion du pouvoir syndical, mais je ne crois pas à cette fatalité. Le syndicat semble avoir perdu de l'influence, mais je dirais qu'il a perdu seulement de la visibilité.

Le mouvement syndical n'est plus le creuset de toutes les revendications, celles des femmes comme celles des écologistes. Aujourd'hui, les femmes et les écologistes mènent leur propre combat et c'est très bien comme ça. Mais le mouvement syndical reste le mouvement le plus important de la société civile parce qu'il a de l'argent, ce que les femmes et les écologistes n'ont pas. Il est capable de produire des alliances. Si on n'est pas dans les gaz de schiste, par exemple, c'est grâce aux syndicats.

Q Aux États-Unis, le taux de syndicalisation est à son plus bas en 100 ans et les écarts de richesse n'ont jamais été aussi grands. Y a-t-il un lien entre les deux?

R Le mouvement syndical a créé la classe moyenne et amenuisé les écarts de revenus. Là, c'est reparti en sens inverse. Les inégalités augmentent. Je pense qu'on est assis sur une bombe à retardement et que nous sommes à l'aube d'une crise aussi grande que celle de 1929.

Nouvelles syndicales

La stratégie d'évitement

Après avoir travaillé très fort, la CSN a réussi à syndiquer six dépanneurs Couche-Tard. L'organisation syndicale s'attend maintenant à ce que la direction tente de limiter la pénétration du syndicat dans son entreprise en offrant les mêmes conditions à ses autres employés qui seraient tentés de se syndiquer.

De meilleures conditions sans cotisation syndicale à payer, voilà un argument convaincant utilisé dans plusieurs entreprises. C'est le cas dans le réseau des caisses Desjardins, où 128 établissements sur le total de 369 ont du personnel syndiqué. Même chose chez le géant de l'aluminium Alcoa, qui exploite trois usines au Québec, à Bécancour, Baie-Comeau et Deschambault. Seule celle de Deschambault n'a pas de syndicat.

Bell-Astral: un groupe convoité

Les employés d'Astral sont plus que jamais dans la ligne de mire des syndicats, maintenant que Bell - dont les employés sont majoritairement syndiqués - a avalé Astral et que la transaction a été approuvée par le CRTC. Les employés d'Astral, qui n'ont jamais été syndiqués, ont vu apparaître des feuillets d'information dans leurs locaux, ce qui alimente leurs discussions ces temps-ci. Astral est une proie de choix. Ce n'est pas tous les jours qu'un groupe d'employés de cette importance peut venir grossir les rangs d'un syndicat. Astral avait 2800 employés, dont 1400 au Québec, au moment de la transaction. Bell a 17 000 employés au Québec.

Où est la relève?

La contestation étudiante de 2012 a démontré que les jeunes Québécois peuvent encore se mobiliser. Les statistiques indiquent toutefois que les syndicats peinent à rajeunir leurs membres. La diminution du taux de syndicalisation a été plus prononcée chez les jeunes travailleurs que chez les plus vieux entre 1981 et 2012, selon Statistique Canada.

En 1981, 26% des travailleurs âgés de 17 à 24 ans étaient syndiqués, contre 42% des 55 à 64 ans, un écart de 16 points. En 2012, 15% des jeunes étaient syndiqués, et 36% des plus vieux. L'écart est passé à 21 points.

Taux de syndicalisation : une baisse généralisée

États-Unis

1981 : 20,1%

2012 : 11,3%

Canada

1981 : 38%

2012 : 30%

Québec

1981 : 44%

2012 : 37%*

*26% dans le secteur privé et 81,2% dans le secteur public

Ontario

1981 : 35%

2012 : 27%

Terre-Neuve

1981 : 45%

2012 : 38%

Sources: Statistique Canada, US Bureau of Labor et OCDE 

Ailleurs dans le monde (2012)

France : 7,6%**

Allemagne : 18,5%

Norvège : 54,6%

Suède : 67,7%

**Le taux de syndicalisation mesure le nombre de membres en règle d'un syndicat. En France, malgré un taux de syndicalisation relativement bas, le nombre de travailleurs couverts par une convention collective est élevé, soit autour de 90%.

Salaires : des écarts qui se réduisent

Les travailleurs syndiqués gagnent toujours plus que ceux qui ne le sont pas, mais l'écart salarial tend à se rétrécir.

Foi d'un vieux routier du recrutement syndical à la FTQ, Robert Émond, ce n'est pas l'argent qui pousse les travailleurs à se syndiquer, c'est le manque de respect de la part de l'employeur. «Ce qu'on entend le plus, c'est: "Le boss me traite comme de la marde."».

Salaire horaire moyen au Québec : 



Syndiqués :

2003 : 19,98$

2012 : 24,76$

Hausse de 2,4% par année

Non-syndiqués :

2003 : 15,62$

2012 : 20,47$

Hausse de 3,0% par année

Écart salarial : 

27,9% en 2003

21% en 2012

Source: Travail Québec