Certains avancent que les inégalités s'accentuent au Québec et qu'il faut faire payer les riches. D'autres soutiennent au contraire que le Québec est «pauvre en riches» et qu'une hausse des impôts n'apporterait guère plus de revenus à l'État. Qu'en est-il, dans les faits?

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Pour le savoir, nous avons comparé le statut des riches au Québec avec celui des autres régions du Canada. Plus précisément, nous avons ciblé les contribuables qui font partie des 1% les plus riches, selon des données de Statistique Canada.

Combien doit gagner un particulier pour faire partie de ce groupe de 1%? 500 000$? Un million? Pas du tout.

Au Québec, ce seuil du 1% est de 178 000$ avant impôts, selon les données les plus récentes (2010), qui englobent les revenus de travail et les gains en capital. Tous les particuliers qui gagnent plus que cette somme font partie des 1% plus riches.

Or, ce seuil est significativement plus bas que la moyenne canadienne. Au Canada, le seuil des 1% plus riches est de 213 600$, soit 20% de plus qu'au Québec. Les provinces des Prairies dominent le palmarès, avec un seuil de 254 700$, tandis que les provinces atlantiques finissent en queue de peloton, à 155 200$.

Face à ce constat, on peut conclure que les riches au Québec sont moins riches que la moyenne canadienne, mais on peut aussi dire qu'il y a moins de riches au Québec, toutes proportions gardées. En effet, il va de soi que la proportion de contribuables recule lorsque la barre des revenus monte. Si le seuil de 178 000$ représente 1% de la population au Québec, la proportion de Québécois qui fait plus de 213 600$ est nécessairement moindre. Et à 254 700$, encore moins.

Or, ces deux seuils de revenus correspondent à la moyenne canadienne et à la moyenne dans les Prairies pour le groupe du 1%. Le Québec compte donc moins de riches, proportionnellement, que la moyenne canadienne et moins de riches que l'Ouest et l'Ontario (seuil de 226 600$).

Qu'en est-il des inégalités, maintenant?

Pour y voir clair, nous avons comparé la croissance réelle des revenus du groupe de 1% à celle des autres contribuables (les 99%), mais après impôts et après transferts gouvernementaux (assurance emploi, bien-être social, etc.).

Conclusion: l'écart de revenus entre les deux groupes s'est fortement accru depuis le début des années 90 au Canada. Le fossé s'est toutefois moins creusé au Québec.

Au Canada, le groupe de 1% a vu ses revenus croître de 61% entre 1992 et 2010, comparativement à 18% pour le groupe de 99%. Dit autrement, la croissance des revenus totaux du groupe de 1% a été 3,4 fois plus importante que celle du groupe de 99% au Canada. Ce rapport de croissance entre les deux groupes est encore plus fort en Ontario (4,1) et dans les Prairies (3,9).

Pendant ce temps, au Québec, le groupe de 1% a vu ses revenus après impôts progresser de 54%, soit 2,4 fois plus vite que ceux des autres contribuables du Québec. En somme, la croissance des inégalités s'est accrue aussi au Québec, mais de façon moins prononcée.

Dans les faits, le fossé québécois est probablement encore moindre. En effet, la comparaison ne tient pas compte des mesures sociales du Québec sur le budget des ménages, comme les garderies à 7$, les droits de scolarité universitaires moindres, l'assurance automobile publique et l'assurance médicament, notamment.

Précisons que la croissance réelle des revenus, donc après inflation, a été calculée avec l'Indice des prix à la consommation (IPC) de chacune des régions afin de tenir compte des disparités régionales (l'inflation est plus forte dans l'Ouest).

Par ailleurs, nous avons choisi 1992 comme base de comparaison à la suggestion de Brian Murphy, responsable de la base de données de Statistique Canada. Les données de l'organisme sont tirées des déclarations fiscales des contribuables. Or, à partir de 1992, dit-il, le nombre de déclarations de revenus a augmenté significativement, en raison de l'entrée en vigueur du crédit d'impôt pour la TPS, qui vise les moins nantis.

Les riches dans l'Ouest: les pauvres profitent de la croissance

Le boom économique dans l'Ouest a profité au 1% les plus riches de cette région et y a accentué l'écart entre leurs revenus et ceux du reste des contribuables de la région (le groupe de 99%). Cependant, ce groupe de 99% a aussi profité de la manne.

Certes, le groupe des 1% plus riches dans les Prairies a vu ses revenus après impôt croître de 113% entre 1992 et 2010, soit 3,9 fois plus vite que le reste des contribuables des Prairies (29%). Cependant, la croissance des revenus de ce reste des contribuables des Prairies (le groupe de 99%) est la plus importante des cinq régions au Canada.

En Ontario, la croissance des revenus après impôt a été de seulement 12% pour le groupe de 99%, comparativement à une croissance de 14% en Colombie-Britannique et de 22% dans les provinces atlantiques. Le Québec s'en tire plutôt bien, avec une croissance de 23% pour ce groupe. Il s'agit de la croissance réelle des revenus, soit après inflation.

Au bout du compte, les revenus des habitants des Prairies, excluant les 1% plus riches, étaient en moyenne de 35 900$ en 2010 après impôt, bien davantage qu'au Québec (28 800$) ou qu'en Ontario (32 700$).

Les «très riches» s'enrichissent plus... en Alberta

Au Canada, le groupe des 1% les plus riches accapare une part de plus en plus grande de l'ensemble des revenus depuis 25 ans. C'est particulièrement vrai dans l'Ouest et c'est encore plus vrai pour les très riches, soit le groupe du 0,1%.

En 2010, les très riches Albertains accaparaient 5,8% de l'ensemble des revenus des contribuables, contre 2,7% en 1982. Pendant ce temps, au Québec, les très riches faisaient passer la part de ces revenus de 1,2% en 1982 à 2,7% en 2010.

Pour faire partie de ce groupe des 0,1% plus riches, il fallait gagner 1,25 million de dollars en 2010 en Alberta, contre 595 200$ au Québec. La moyenne canadienne est de 798 100$.

Beaucoup plus de riches au Québec qu'en Suède

Le Québec est «pauvre en riches» dans le contexte nord-américain, mais il compte beaucoup plus de riches que des pays développés comme la Suède, le Danemark, le Japon ou l'Italie.

Voilà l'étonnante conclusion d'une comparaison effectuée par La Presse à partir de données de Statistique Canada et du World Top Income Database. Jamais une telle comparaison n'avait été faite auparavant.

Si l'on tient compte du pouvoir d'achat, il fallait gagner au Québec l'équivalent de 137 000$US avant impôt pour faire partie des 1% les plus riches en 2009. Ce seuil n'est que de 84 200$US en Suède et de 114 500$US au Japon. Autrement dit, les riches du Québec sont plus riches ou encore, le Québec compte proportionnellement plus de contribuables qui font 137 000$US que dans ces pays, donc plus de riches.

Ces seuils pour le groupe de 1% plus riche ne reflètent pas simplement les données locales converties en dollars américains. Elles tiennent compte du coût de la vie de chaque pays, c'est-à-dire du pouvoir d'achat dont disposent les ménages à partir d'un panier de biens normalisé. La conversion de seuils en dollars américains a donc été réalisée avec l'indice de parité des pouvoirs d'achat (PPA) du Fonds monétaire international (FMI).

Parmi les États choisis, le Québec se situe en milieu de peloton, au même niveau que la France et l'Australie. Le revenu moyen du groupe qui figure dans le 1%, en PPA, est de 263 700$US avant impôt au Québec, contre 239 800$US en France et 268 800$US en Australie.

À ce chapitre, les provinces des Prairies se comparent à la Suisse, avec un seuil de 197 000$US pour figurer dans le 1% et des revenus moyens pour ce groupe de 464 000$US. Les États-Unis sont dans une classe à part, avec un seuil de 327 600$ et des revenus moyens de 814 900$.

Précisons qu'il faut prendre ces chiffres comme des ordres de grandeur, puisque la façon de comptabiliser les salaires diffère dans chaque pays. Par exemple, en Suède, les entreprises versent des salaires plus faibles, mais en revanche, leurs contributions sociales sont nettement plus élevées.

Selon l'économiste suédois Jesper Roine, les charges sociales des entreprises en Suède correspondent à environ 31,4% de la masse salariale. Au Québec, ces charges oscillent entre 10 et 15%, selon le salaire des employés. Cette différence de presque 20 points de pourcentage explique en partie les revenus bruts plus faibles des Suédois par rapport aux Québécois.

Cela dit, les charges sociales des entreprises au Québec sont nettement plus élevées qu'ailleurs en Amérique du Nord. Par exemple, l'écart avec l'Ontario est d'environ 5 points de pourcentage sur la masse salariale. Cet effet joue donc également ici.

Le traitement des données canadiennes et mondiales a été réalisé avec la collaboration de Maurice Marchon, professeur à HEC Montréal.

Les États-Unis, nettement moins égalitaires

Les inégalités sont beaucoup plus grandes aux États-Unis que dans les autres pays industrialisés.

En 2009, le groupe des 1% plus riches aux États-Unis accaparait 16,7% de tous les revenus, selon les données comparables les plus récentes du World Top Income Database (WTID). En comparaison, cette part des revenus est de 6,7% en Suède, de 8,1% en France et de 13,9% au Royaume-Uni.

Le Québec est au milieu du peloton, avec une part des revenus de 10,4%. La moyenne canadienne est de 12,2%, ce qui fait du Canada un pays moins égalitaire que la Suisse, le Japon ou l'Italie.

Précisons que ces taux sont basés sur les revenus de marché (de travail, essentiellement) des contribuables avant impôt. L'écart aurait probablement été plus grand en ajoutant les gains en capital. Après impôt, la part des revenus du groupe de 1% recule d'environ un point de pourcentage au Canada (de 12,2% à environ 11,2%) et au Québec (de 10,4% à environ 9,4%).