Pas facile de parler d'argent au Québec, où le sujet est plus tabou que le sexe. Rares sont ceux qui en ont et qui acceptent d'en parler simplement, sans s'en vanter ou en être gênés. On peut faire partie du 1% des mieux nantis, sans s'appeler Coutu ou Molson. Témoignages.

Prof, syndiqué et millionnaire

Ce n'est pas son job de prof à l'Université du Québec à Montréal qui a rendu Robert Sheitoyan riche. Ce sont d'abord ses investissements dans l'immobilier et, surtout, la Bourse qui l'ont rendu indépendant de fortune.

Il a commencé à investir en Bourse après la crise de 2008, en utilisant la valeur de ses investissements immobiliers. Les aubaines foisonnaient. «J'étais devant un paquet de bonbons et je n'avais qu'à choisir», se souvient-il. Des bonbons de bonne qualité, précise-t-il, comme General Electric.

Il a fait son choix avec soin, après avoir longuement soupesé les possibilités des entreprises du Dow Jones 30, les grands canons de l'économie américaine. «Je suis lent à me décider, j'ai besoin de prendre mon temps.»

Fils d'un immigrant arménien et d'une mère libanaise, membre d'une famille de 18 enfants, Robert Sheitoyan a connu la pauvreté. L'argent et le manque d'argent ont donc occupé une grande place dans sa vie. Il est à l'aise d'en parler. Probablement parce qu'il a du sang arménien, dit-il. «Ma femme, qui est Québécoise, n'aime pas trop ça.» Le professeur a d'ailleurs le projet d'écrire un livre sur le thème de l'argent, qu'il dédiera à sa conjointe.

Devenir riche n'a pas changé du tout au tout la vie de Robert Sheitoyan. Il a toujours travaillé beaucoup et n'a aucunement l'intention de s'arrêter. Il vient d'acheter sa première grande maison dans un quartier cossu, après avoir vécu toute sa vie dans un duplex qui lui appartenait. «Une folie», commente-t-il. Et sa femme et lui vont au restaurant tous les soirs. Il en rigole: il pourrait se recycler en critique gastronomique!

Le professeur a donné 1,5 million à la fondation de l'université qui l'emploie depuis 30 ans. «C'est un peu pour se déculpabiliser qu'on fait ça, reconnaît-il. Dans le secteur immobilier, j'ai travaillé fort et ça a pris du temps, mais la Bourse, c'est de l'argent facile. Alors je donne pour les bonnes causes.» Les dons aident aussi à réduire sa facture fiscale, ce qu'il admet tout aussi facilement.

Les étudiants qui fréquentent ses cours à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM ne le font pas pour apprendre comment devenir riches comme lui. «Non, l'important est d'avoir des valeurs et c'est ce que j'essaie d'inculquer à mes étudiants.»

Pour la fortune, il faut savoir saisir les opportunités qui se présentent. Il y a eu la crise financière de 2008, il y en aura d'autres. «Je me prépare déjà pour la prochaine», dit-il.

L'entrepreneur et l'artiste

Serge Beauchemin a trouvé dans les Dragons une façon de satisfaire ses deux grandes passions: celle de l'entrepreneur qui prend des risques pour créer quelque chose, et celle de l'artiste qui participe à son premier spectacle télévisé.

C'est, dit-il, le principal avantage de l'indépendance financière: avoir la liberté de choisir ce qu'on veut faire.

Riche, Serge Beauchemin l'est certainement. Ce décrocheur a été vendeur dans un magasin d'informatique avant de se lancer, à son compte, dans la vente de logiciels. Il aurait pu arrêter de travailler quand il a vendu son entreprise, en 2005. Mais il continue, «parce que j'ai un grand plaisir à travailler», assure-t-il.

Comme beaucoup de Québécois, il n'a pas toujours été à l'aise avec la richesse. Après avoir vendu son entreprise, il s'est acheté une maison. Mais il a attendu un an et demi avant de réaliser son vieux rêve, avoir une Porsche. «Je me disais: les gens vont me juger», confie-t-il.

Le confort n'est qu'une des dimensions de la richesse. Et la richesse ne se mesure pas en dollars. C'est ce que l'homme d'affaires dit à ses deux fils. «Ça se mesure en qualité de vie et nombre d'amitiés que tu peux cultiver.»

La richesse peut aussi se redistribuer à ceux qui n'en ont pas. C'est ce que le Québec fait, avec plus ou moins de succès. Serge Beauchemin n'a aucun problème avec ça. Mais au taux d'impôt combiné de 50% qui frappe les plus hauts revenus, l'homme d'affaires pense que la limite est atteinte et que les inégalités persistent.

«On devrait essayer autre chose, dit-il. Sans devenir un paradis fiscal, on pourrait essayer de baisser les impôts pour attirer et retenir plus de gens riches.»

«On n'est pas très riches au Québec. Mais on peut le devenir. Le système le permet», dit l'entrepreneur.

Susciter des vocations d'entrepreneur et encourager ceux qui se sont lancés, c'est ce à quoi il consacre maintenant ses énergies.

Quelque chose de magique vient avec la richesse, selon Serge Beauchemin. «On a les moyens de donner et de faire des choses qui ne rapportent pas.»

C'est en somme tout ce qui compte vraiment, estime Serge Beauchemin. «On va tous finir à la même place. Le compte de banque ou la grandeur de la maison n'y changeront rien.»

Photo André Pichette, La Presse

Un des principaux avantages de l'aisance financière, selon l'entrepreneur Serge Beauchemin, est qu'elle permet de faire ce que l'on veut.