Les Américains qui se font rares sur nos pentes depuis que le huard est à parité ont d'autres raisons de rester chez eux. Jay Peak, Stowe et les autres stations du nord-est des États-Unis améliorent leur produit à coups de millions, alors que c'est le calme plat dans les montagnes québécoises, à une ou deux exceptions près.

À terme, c'est la compétitivité de cette industrie aux revenus annuels de 260 millions qui est menacée pour cause de sous-financement chronique.

Depuis 10 ans, on a dépensé 1 milliard dans le nord-est des États-Unis, selon une recension de La Presse Affaires. C'est quatre à cinq fois plus que dans les montagnes québécoises au cours de la même période.

Les stations injectent annuellement de 20 à 25 millions, mais il en faudrait le triple, d'après le professeur Michel Archambault, qui dirige l'Étude économique et financière des stations de ski du Québec, publiée annuellement.

«L'industrie doit investir 200 millions d'ici 5 à 10 ans pour mettre à niveau ses infrastructures», évalue-t-il.

Pour la première fois en 16 ans, Mont-Tremblant a dû renoncer cette année au titre de station numéro un de l'est du continent, décerné par Ski Magazine. Pour l'anecdote, c'est Smuggler's Notch, au Vermont, qui a été couronnée par le vote des lecteurs de la publication.

«Ils ont changé la méthode de sondage», note Annique Aird, vice-présidente ventes, marketing et communications de Station Mont Tremblant.

Cette décote prend néanmoins des allures de symbole du retard que prennent les stations québécoises.

«Les investissements à Tremblant datent de 15 à 20 ans, fait remarquer le professeur Michel Archambault. Il y a certaines infrastructures à Tremblant qui méritent d'être renouvelées», soutient le fondateur de la chaire de tourisme Transat à l'UQAM.

Liée ou non au vieillissement des demeures, la valeur foncière des 2000 copropriétés de la station est en baisse de 20% depuis 2006, selon le plus récent rôle d'évaluation municipale.

Consciente de cette réalité, Tremblant investit 5 millions dans la rénovation de l'hôtel Westin cette année.

Des parts de marché sous pression

«C'est évident que le skieur qui fait des voyages de ski hors du Québec se rend compte que les stations québécoises ne sont plus à niveau», soutient M. Archambault.

C'est une occasion manquée. Moins touchée par le réchauffement des températures que ses voisines, la province a le potentiel de devenir une destination de choix en Amérique du Nord pour les skieurs.

Les voyages de ski sont en vogue, prisés par les boomers approchant l'âge de la retraite, confirme Voyages Gendron, qui en fait sa spécialisation depuis 30 ans. «La demande pour Stowe et Jay Peak est plus importante qu'il y a quelques années, c'est pour ça qu'on a introduit ces deux nouveaux centres dans notre programmation», dit Monyse Bélisle, directrice des produits ski.

«On sait que, si on ne veut pas manquer le bateau, il faudra faire des investissements», reconnaît Daniel Rochon, vice-président et directeur général de Mont-Saint-Anne et de Stoneham pour le propriétaire Resort of the Canadian Rockies (RCR). Sainte-Anne s'est équipée d'une nouvelle remontée quadruple débrayable dans l'entre-saison au coût de 5 millions.

Vitesse des remontées, confort des chalets et capacité d'enneigement mécanique accrue figurent au sommet des priorités d'investissement. Les Américains ont déjà agi en conséquence.

«Sunday River, au Maine, a 1900 canons à neige; en comparaison, Tremblant en compte 1100 pour des domaines skiables comparables», donne en exemple Mathieu Landry, copropriétaire de l'agence Express Tours qui organise des excursions de ski en autocar. L'agence vend 12 000 billets par hiver aux Québécois pour skier dans le nord-est des États-Unis.

Mais pourquoi les stations américaines investissent-elles et pas les québécoises?

La plupart des grandes stations du nord-est des États-Unis ont changé de propriétaire depuis le milieu des années 2000. La nouvelle cohorte est formée de sociétés aux coffres bien garnis, indique le professeur Michel Archambault. C'est le cas à Sunday River (CNL Lifestyle Properties/Boyne USA), à Stowe (filiale d'AIG) et à Killington (Powdr Corp.).

À Jay Peak, on a investi 250 millions depuis que Mont Saint-Sauveur International s'est départi de la station en 2008. L'argent provient principalement du programme d'immigrants investisseurs EB5. En échange d'une carte verte, l'investisseur étranger risque un demi-million de dollars. Ni le capital ni le rendement ne sont garantis.

Le succès d'EB5 fait boule de neige. Saddleback, au Maine, et Burke Mountain, au Vermont, suivent la voie tracée par Jay.

Concurrence déloyale?

Personne parmi ceux à qui nous avons parlé dans les stations du Québec ne s'est plaint de la concurrence que lui causerait le programme EB5, pas même Bromont qui, en raison de la proximité du Vermont, subit de front la concurrence de Jay Peak. Mais tous souhaitent que le gouvernement réagisse.

«Il faut prendre en considération [les capitaux bon marché dont dispose la station de Jay Peak], dit Carole-Anne Ménard, directrice du marketing chez Ski Bromont. On a le souhait d'aller chercher des subventions externes.»

En attendant, les stations québécoises continueront à dépenser avec parcimonie, sauf exception. «La rentabilité est très moyenne», souligne Daniel Rochon, vice-président et directeur général de Mont-Sainte-Anne. Le nombre de jours-skis tourne autour de 6,5 millions par saison depuis au moins 10 ans, tandis que les frais d'exploitation, à commencer par la facture d'électricité, grimpent en flèche.

Les exploitants de centres de ski se trouvent dans une situation analogue à celle d'un skieur qui hésite entre deux pistes: rogner les dépenses en l'absence de croissance ou investir dans la neige pour améliorer l'expérience du client. Le temps presse, les concurrents ont pris une longueur d'avance dans la descente.

Comment relancer l'investissement?

Souffrant de sous-investissement chronique, les stations de ski souhaitent qu'on leur prescrive une diminution de tarifs d'électricité dans le but de libérer les liquidités indispensables à leur modernisation.

Même si la province a de l'électricité en abondance comme de la poudreuse au lendemain d'une bonne bordée, Hydro-Québec ne fait pas de cadeau aux centres de ski.

Selon l'Association des stations de ski du Québec (ASSQ), les stations du Vermont, où Hydro exporte son électricité à un prix de gros de 5 cents le kilowattheure, paient environ 0,12$ le kilowattheure. Les stations québécoises paient 0,16$ le kilowattheure en moyenne.

Au téléphone, la responsable des communications de Ski Vermont, Sarah Neith, reconnaît que ses membres paient moins de 0,16$/kWh en moyenne.

«On est censé être la province la plus riche en électricité. C'est incompréhensible, dit Christian Dufour, directeur expérience client de Mont Saint-Sauveur et de Mont Avila et président du conseil d'administration de l'ASSQ.

Dans les années 80, les stations ont pu profiter d'une tarification avantageuse pour fabriquer de la neige, ce qui a incité une majorité d'entre elles à recourir au réseau d'Hydro. Le programme a pris fin en 1996. Depuis, le tarif «neige» augmente au rythme de 8% par année.

«Si l'on tient compte des conditions de rattrapage et des règles tarifaires en vigueur, les taux devraient atteindre les 18 à 30 cents/kWh d'ici les trois prochaines années», a écrit l'ASSQ dans son mémoire présenté dans le cadre de la consultation publique sur les enjeux énergétiques du Québec.

Aide gouvernementale

«Pendant que le Québec bénéficie d'une puissance électrique en surplus, il devrait y avoir un tarif spécifique lié à un programme d'investissement visant la mise à niveau des stations de ski», suggère Michel Archambault, fondateur de la chaire de tourisme Transat.

Dans sa récente politique économique, le gouvernement péquiste a décidé d'allouer des sommes à la promotion du tourisme hivernal. Une initiative qui s'ajoute au Programme d'appui au développement des attraits touristiques (PADAT), un programme de prêt et de garantie de prêt disposant d'une enveloppe de 85 millions en cinq ans.

«Depuis mai, quatre ou cinq projets ont été autorisés et une dizaine sont en voie de l'être, dit Chantal Corbeil, porte-parole d'Investissement Québec. Du lot, au moins sept ou huit proviennent des centres de ski.»

DEUX EXCEPTIONS: 

Bromont

Depuis 2002, Bromont a ouvert pas moins de cinq nouveaux versants, a illuminé la montagne et a franchi le cap des 1000 canons à neige. Montant de la facture: 60 millions. La station projette d'injecter 60 millions additionnels d'ici 5 à 10 ans. En 2011, Ski Bromont Immobilier a mis en vente le projet Côte Est, d'une valeur de 40 millions et comportant 116 unités résidentielles. Environ 30% du projet ont été vendus. Pour remplir ses logements, la station se tourne vers la clientèle de l'Ontario. Elle vise la vente de 5000 abonnements d'ici quelques années.

Le Massif

Au Massif de Charlevoix, l'ancien copropriétaire du Cirque du Soleil, Daniel Gauthier, entend investir 258 millions, dont 55 millions de sa fortune personnelle. La station comporte différents pôles: la montagne, le train touristique, une navette ferroviaire entre Baie-Saint-Paul et Petite-Rivière-Saint-François et l'hôtel La Ferme, de 145 chambres. Dix ans après l'achat de la montagne, la croissance de l'achalandage déçoit les attentes et la construction des 500 premières unités d'hébergement prend du retard.

Un concurrent redoutable prend forme à Jay Peak

Si vous n'avez pas mis les skis à Jay Peak récemment, vous serez stupéfait de sa transformation. Autrefois essentiellement reconnue pour son enneigement naturel généreux et le caractère sportif de ses sous-bois, la plus canadienne des stations du Nord-Est américain s'est métamorphosée en station de villégiature familiale quatre saisons.

Lors de notre passage à la station par un beau lundi ensoleillé de septembre, il fallait zigzaguer entre les bulldozers et les rétrocaveuses pour se rendre à notre rendez-vous.

Seulement cette année, 44 millions US ont été investis dans la station. Un tout nouveau chalet de ski de 80 000 pi2 ouvrira à Noël. Il incorpore un hôtel de 85 chambres. De plus, 84 maisons, individuelles et en rangée, viennent s'ajouter aux unités d'hébergement au pied des pistes. «Quelque 250 ouvriers travaillent sur le terrain aujourd'hui», souligne le propriétaire Bill Stenger, à notre arrivée au tout nouvel hôtel Jay. On se penserait à Tremblant au milieu des années 90 ou à Dubaï... en exagérant à peine.

Depuis 2006, des investissements de 250 millions ont littéralement transformé la montagne. Un golf de 18 trous de calibre de championnat, 2hôtels, bientôt 3, 1 aréna, 1 garderie et 300 unités de condos se sont ajoutés à la station, de même qu'un parc aquatique avec toit amovible.

À notre insistance, M. Stenger a entrouvert le toit rétractable en milieu d'après-midi. Un spectacle apprécié par le Montréalais traumatisé par les déboires de la couverture du Stade olympique.

«Il y a six ans, Jay Peak recevait 150 000 skieurs par an, on est maintenant rendu à près de 1 million de visiteurs par année», dit le propriétaire de 65 ans, en entrevue avec La Presse Affaires. Bill Stenger et son associé ont acheté la station de Mont Saint-Sauveur International en 2008. Environ 40% de la clientèle est québécoise.

Bien au fait de son pouvoir d'attraction auprès des Québécois, Jay Peak a envoyé une offre postale l'été dernier sur l'ensemble du territoire de la MRC Brome-Missisquoi, invitant les familles à venir se rafraîchir dans son parc aquatique intérieur.

«C'est clair qu'il va y avoir un impact ici au Québec, reconnaît Christian Dufour, directeur expérience client de Mont Saint-Sauveur et de Mont Avila. Les skieurs du Grand Montréal ont la possibilité d'aller skier là-bas. Ça va être à nous d'être créatifs au cours des prochaines années et de continuer à stimuler notre marché principal, le marché de Montréal.» Mont Saint-Sauveur International investit, bon an, mal an, 1 million dans le renouvellement de ses infrastructures. Cette année, c'est 1,5 million qui a été dépensé dans des améliorations au domaine skiable et à l'enneigement mécanique.

Une manne venue de l'étranger

Ces millions qui tombent comme de la neige sur Jay Peak proviennent en grande partie d'un programme fédéral d'immigrants investisseurs bâti sur le modèle canadien, appelé EB5. En échange d'un investissement de 500 000$ sur la montagne du nord du Vermont, l'investisseur étranger reçoit sa résidence permanente.

«Sans ce programme, rien de tout ça ne se serait matérialisé, insiste Bill Stenger. Nous avons fait tous ces ajouts durant ce qu'on appelle maintenant la Grande Récession. C'est assez incroyable quand on y pense. Nous avions la chance d'avoir accès à des capitaux bon marché, sans avoir aucune pression de les rembourser rapidement», convient-il.

Pourquoi s'arrêter en si bon chemin? M. Stenger veut maintenant investir 100 millions dans l'ouverture d'un nouveau versant: le West Bowl. La construction débuterait en 2015 et la livraison de la phase 1 se ferait en 2016.

«Plus que jamais, nous voulons attirer les Canadiens à Killington»

Ce n'est pas seulement à Jay Peak où on dépense des millions. À Killington, au Vermont, à trois heures et demie de route de Montréal, on a dépensé 40 millions US depuis que la société Powdr Corp a acquis la station en 2007, en même temps qu'elle a acheté la montagne voisine Pico.

Exploitant de 7 centres de ski aux États-Unis, Powdr a dépensé 11 millions à Killington cette année seulement, et la station compte investir plus de 1 milliard d'ici 20 ans dans un village de 2300 unités d'habitation au pied de la montagne, à l'image de ce qui s'est fait à Tremblant.

Killington, au dire de son PDG, est déjà la station la plus importance de l'est du continent: elle compte le plus de pistes, le plus de remonte-pentes, le système d'enneigement mécanique le plus complet.

Cette année, une somme de 9 millions sert à reconstruire le chalet au sommet de la montagne, à 4200 pi d'altitude, accessible uniquement par gondole. Un investissement additionnel de 2 millions a servi à bonifier le système d'enneigement mécanique des pentes et à améliorer le domaine skiable. La station s'est aussi procuré quatre nouvelles dameuses.

«Cette année, plus que jamais, nous voulons attirer les Canadiens à Killington», indique Mike Solimano, son président-directeur général, que nous avons rencontré en septembre. Environ 10% de sa clientèle est canadienne. Ses marchés principaux sont les régions métropolitaines de Boston, à trois heures, et de New York, à cinq heures de voiture.

«Notre montagne, par l'étendue de son domaine skiable, répond aux besoins des vacanciers qui prennent une semaine de ski. Mais nous gagnons à mieux nous faire connaître du marché montréalais, reconnaît-il. Quand ils descendent à Killington, les Canadiens sont en général agréablement surpris parce qu'ils découvrent.»