L'empire Accurso est devenu au fil des ans le symbole de tout ce qui ne tourne pas rond dans l'industrie de la construction. Le changement de main s'imposait. Des proches de l'entrepreneur, menés par l'avocat Joël Gauthier, prennent le relais et créent le Groupe Hexagone.

Tony Accurso remballe son coffre à outils. L'entrepreneur en construction vient de conclure la vente de la partie la plus importante de son empire à un groupe de six actionnaires québécois sous la direction de l'ancien PDG de l'Agence métropolitaine de Transport (AMT), Joël Gauthier, a appris La Presse.

La transaction, qui en est à l'étape de la vérification diligente, s'élèverait à près de 150 millions de dollars. Elle concerne les entreprises Louisbourg SBC, Gastier, Ciments Lavallée, Geodex, Houle H20 et certains actifs de Simard-Beaudry.

Ces entreprises totaliseraient un chiffre d'affaires de 400 à 500 millions de dollars, soit un peu moins de la moitié de celui du groupe Accurso. Elles comptent quelque 2500 employés.

De son côté, Tony Accurso conserverait ses entreprises du secteur immobilier, et de fabrication de pipelines, sa carrière de pierres et les holdings financiers.

Le groupe d'acheteurs est mené par Joël Gauthier. Ce dernier a dirigé l'AMT jusqu'à l'année dernière. Il est également l'ancien directeur général du Parti libéral du Québec, qui a conduit au pouvoir les troupes de Jean Charest en 2003. Aux côtés de M. Gauthier, on retrouve les deux fils de Tony Accurso, Jimmy et Marco, et trois hauts dirigeants de Gastier et Louisbourg SBC, Sylvain Gadoury, Adrien Vigneault et Benoît Bégin.

La propriété serait partagée en parts égales, ce qui implique que les fils Accurso ne détiendraient pas la majorité des actions.

Joint par La Presse, M. Gauthier a refusé de confirmer la transaction, se bornant à souligner qu'il fallait se montrer patient. «Ce qui est important, c'est de conserver l'expertise au Québec ainsi que les 2500 emplois», a-t-il affirmé.

M. Gauthier est retourné à la pratique du droit après une sortie mouvementée de l'AMT; la gestion du projet du train de l'Est avait été remise en question par le gouvernement libéral. Il a vraisemblablement mis à profit son large réseau d'affaires pour offrir des services-conseils en «relations d'entreprises». Il semble que ce soit dans ce cadre que M. Gauthier a travaillé avec Tony Accurso, qu'il connaît, par ailleurs, de longue date. De plus, Joël Gauthier est issu d'une famille qui travaille dans la construction depuis trois générations.

Groupe Hexagone

La nouvelle entreprise que les six partenaires ont créée se présente sous la bannière de Groupe Hexagone. Le nom a été réservé auprès du Registraire des entreprises du Québec le 5 avril dernier pour une période de 90 jours, conformément à la Loi sur les sociétés par actions.

Le Groupe Hexagone devrait avoir un conseil d'administration où siégeraient des gens d'affaires recrutés à l'extérieur de l'empire dans un souci de renouveler totalement l'image et, surtout, la culture de l'entreprise. Les administrateurs seraient au nombre de neuf dont cinq personnes externes; ces dernières détiendraient donc la majorité des votes. Il s'agirait de «grosses pointures» du milieu des affaires, a-t-on souligné à La Presse.

M. Gauthier a communiqué avec l'Institut de la gouvernance. «Mais ça s'arrête là», a affirmé le directeur général de l'Institut, Michel Nadeau. «Si un jour il y a un conseil d'administration et que l'entreprise souhaite obtenir une formation pour ses dirigeants comme celle que nous offrons sur les questions d'éthique, l'Institut sera disposé à le faire», a ajouté M. Nadeau.

Malgré les controverses autour de Tony Accurso, les entreprises de ce dernier sont reconnues pour leur fiabilité et la qualité de leurs travaux. Elles constituent ensemble le plus important acteur de l'industrie de la construction au Québec. À elles seules, Louisbourg et Simard-Beaudry ont obtenu pour environ 1 milliard de dollars en contrats publics au Québec depuis 20 ans.

Une vente inévitable

La transaction survient alors que Tony Accurso risque d'être chassé malgré lui de l'industrie de la construction. En vertu de la Loi prévoyant certaines mesures afin de lutter contre la criminalité dans l'industrie de la construction (loi 73), un dirigeant, un administrateur ou un actionnaire d'une entreprise détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) ne peut avoir un casier judiciaire.

L'adoption l'automne dernier de la Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics (loi 1) a augmenté d'un cran la pression sur les entreprises, qui doivent montrer patte blanche. Celles de Tony Accurso ne sont pas épargnées et doivent traverser le processus de certification mis en place pour se voir attribuer des contrats du gouvernement, des sociétés d'État comme Hydro-Québec, des municipalités ou de tout autre organisme public.

Or, Constructions Louisbourg et Simard-Beaudry Construction se sont reconnu coupables, en 2010, d'avoir éludé 4,1 millions d'impôt fédéral. L'année dernière, M. Accurso a été arrêté à deux reprises. Il est accusé de fraude, de complot, d'abus de confiance et de trafic d'influence dans le dossier de Mascouche. Quelques mois plus tard, il a été accusé d'avoir corrompu des fonctionnaires de l'Agence du revenu du Canada.

Le nom de M. Accurso a surgi à plusieurs reprises lors des audiences de la commission Charbonneau. Depuis l'automne dernier, le système de collusion, de corruption et de financement politique occulte qui aurait été en place à l'hôtel de ville de Montréal est analysé sous toutes ses coutures. C'est ainsi qu'il a été question des liens d'amitié de M. Accurso avec l'ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino et l'ex-directeur général de Montréal Robert Abdallah.

Alors que la Ville s'apprêtait à accorder le contrat le plus important de son histoire, celui des compteurs d'eau, M. Zampino multipliait les voyages avec son ami entrepreneur, qui était soumissionnaire de ce contrat. Frank Zampino a notamment séjourné à trois reprises sur le bateau de luxe de Tony Accurso, le Touch.

Dans une entrevue à La Presse en octobre dernier, Tony Accurso a reconnu que la situation était devenue intenable pour lui et ce qu'il a construit depuis 30 ans. «Compte tenu de ce qui se passe, les entreprises ne peuvent plus continuer à grandir avec moi comme responsable. Il faut que je passe le flambeau pour le bien des 3500 employés et de tous les travaux qui s'en viennent. Je dois absolument partir, je n'ai pas le choix», avait-il déclaré alors, souhaitant que son «joyau» reste entre les mains de Québécois.

Il a été impossible de joindre Tony Accurso.