Le président et chef de la direction de Jamp Pharma, Louis Pilon, et ses avocats du cabinet Stikeman Elliott viennent de se faire sermonner par la Cour supérieure au sujet de leur conduite dans un litige de plusieurs millions de dollars avec le fisc. Selon la Cour supérieure, ils ont «induit en erreur» le tribunal en faisant des «manigances [...] afin d'obtenir un jugement à l'insu des autorités fiscales».

Les principaux intéressés sont en désaccord avec la décision de la Cour supérieure - qu'ils ont portée en appel -, estimant n'avoir fait que suivre une jurisprudence récente de la Cour d'appel leur permettant d'agir ainsi. L'enjeu du litige: un contribuable doit-il avertir le fisc s'il tente de faire modifier sa structure corporative pour annuler des cotisations?

En mars et avril 2011, la fiducie familiale et les entreprises de Louis Pilon se sont adressées à la Cour supérieure sans en avertir le fisc pour faire annuler une série de transactions ayant mené à des cotisations fiscales de plusieurs millions de dollars.

La Cour supérieure a accueilli leur demande et a aussi émis une ordonnance de non-publication. Quand l'Agence du revenu du Canada (ARC) et l'Agence du revenu du Québec (ARQ) ont été mises au courant de ces développements (qui rendaient leurs cotisations nulles), elles ont demandé - et réussi en février dernier - à faire casser la première décision de la Cour supérieure par une autre juge du même tribunal.

»Mise en scène procédurale»

Dans un jugement rendu le 8 février dernier et qui annule la première décision de la Cour supérieure, la juge Marie-Anne Paquette, de la Cour supérieure, dénonce la «mise en scène procédurale» ayant pour objectif de «tromper la vigilance du Tribunal» de la part des trois avocats de Stikeman Elliott qui représentaient les intérêts de Louis Pilon au printemps 2011. Il s'agit de Me Pierre Martel, Me Bruno Barrette (qui a depuis fondé son propre cabinet) et Me Paul Blanchard (qui travaille aujourd'hui dans un autre cabinet d'envergure, McCarthy Tétrault). «Les parties ont tout fait pour agir à l'insu des autorités fiscales», écrit la juge Marie-Anne Paquette, qui permet ainsi au fisc de continuer sa cotisation de plusieurs millions en impôts contre la fiducie familiale de Louis Pilon.

À l'audience du printemps 2011 sans la présence du fisc, la juge Christiane Alary, de la Cour supérieure, s'était interrogée sur l'intérêt de prévenir les autorités fiscales afin qu'elles puissent faire valoir leurs arguments face à l'annulation des transactions. Me Barrette a alors déclaré que «ça ne regarde pas le ministère du Revenu. C'est une requête entre parties civiles qui demande de réviser des transactions entre elles».

En février dernier, la juge Marie-Anne Paquette, de la Cour supérieure, a plutôt conclu que le fisc aurait eu des «arguments sérieux à faire valoir». «Maintenant que la véritable nature du recours en jugement déclaratoire a été mise au grand jour, la lecture de ces représentations écrites et verbales est choquante. [...] Le Tribunal [...] a clairement été induit en erreur sur la nature véritable du recours et ses répercussions pour des tiers.»

Les avocats en désaccord

La fiducie familiale de Louis Pilon a porté la décision de la juge Paquette en appel devant la Cour d'appel du Québec. Ses avocats sont en désaccord avec l'indignation de la juge sur le fait d'avoir présenté leur requête au printemps 2011 sans la présence du fisc en cour. Ils estiment ne pas avoir induit le tribunal en erreur, notamment parce qu'ils ont déclaré l'existence de la cotisation fiscale. «Il y a eu une discussion sur la question [des implications fiscales] et la [première] juge a pris sa décision», dit Me Barrette. Pour justifier l'exclusion du fisc, les avocats ont cité une décision récente de la Cour d'appel (en appel depuis à la Cour suprême). «Nous nous faisons reprocher [par la Cour supérieure] d'avoir suivi la décision de la Cour d'appel du Québec», dit Me Pierre Martel. Me Blanchard a préféré ne pas commenter le dossier hier.

La version de Louis Pilon

Sur le fond du litige, Louis Pilon estime ne pas devoir payer les millions que lui réclame le fisc. «On m'a proposé une nouvelle structure corporative pour protéger mes actifs, mais on n'a jamais sorti d'argent de la fiducie. On aurait payé l'impôt comme il se doit dès qu'on aurait sorti de l'argent de la fiducie», a-t-il dit à La Presse Affaires. Louis Pilon a acheté Jamp Pharma en 2006.

L'ARC et l'ARQ ont préféré ne pas commenter le dossier puisqu'il est toujours devant les tribunaux. Mercredi dernier, la juge en chef de la Cour d'appel a indiqué par écrit aux parties que l'ordonnance de non-publication prononcée en mars 2011 ne valait plus pour les procédures à la Cour d'appel.