La capitale du Québec n'est plus tout à fait la ville de fonctionnaires qu'elle était. Des investissements privés et de nouveaux secteurs d'activité gardent les jeunes sur place et en attirent d'autres. Du jamais vu en plusieurs décennies.

On l'aperçoit à des kilomètres. À la sortie des ponts de Québec, sur le boulevard Laurier, impossible de rater le chantier de ce gratte-ciel de 29 étages, où une grue installe les derniers panneaux de verre en ce matin ensoleillé de février.

Le nouveau complexe Jules-Dallaire détonne dans ce secteur anonyme de l'ancienne ville de Sainte-Foy, et pas seulement en raison de sa hauteur. L'ensemble de trois tours héberge une série de locataires prestigieux, comme le cabinet d'avocats Norton Rose. Et 160 condos de luxe, dont une dizaine se vendent au-dessus du million de dollars. Le genre de projet qu'on aurait pensé trouver dans le Vieux-Québec plutôt qu'à côté d'un ancien magasin Zellers!

«Cette nouvelle tour est maintenant la deuxième plus haute de Québec, avec à peine une dizaine de mètres en moins que le Complexe G», dit Louis Aubé, vice-président du Groupe Dallaire, pendant une visite au 20e étage du chantier.

Le parallèle entre les deux immeubles est tout sauf anodin.

Le «Complexe G» - comme tout le monde l'appelle ici - domine la colline parlementaire depuis 1974. Ce gratte-ciel à l'architecture brutaliste, qui loge entre autres le ministère de l'Éducation, constitue un symbole de l'importance de la fonction publique à Québec. C'est le siège de l'État québécois, et ça se sent.

À une dizaine de kilomètres à l'ouest, le complexe Jules-Dallaire envoie un tout autre message. C'est un projet d'initiative entièrement privée, mis de l'avant par la riche famille Dallaire, de Québec. Un succès financier éclatant, qui illustre à lui seul à quel point l'économie de la capitale s'est métamorphosée depuis une quinzaine d'années.

Les indicateurs économiques de Québec, pendant cette période, ont explosé. Quelque 100 000 emplois ont été créés depuis 2000, pour la plupart dans le secteur privé. Le taux de chômage, à 5,1%, est devenu l'un des plus bas au Canada. Le PIB a presque doublé depuis 15 ans, passant de 17 à 32 milliards de dollars. La photonique, les biotechnologies et une série de secteurs de pointe se sont transformés en véritables industries.





Inventer une nouvelle économie

Ces succès récents ne sont pas le fruit du hasard. Le tournant remonte très précisément à 1983, avance Chantal Routhier, économiste au Mouvement Desjardins.

«Ç'a a été la bougie d'allumage de l'économie du savoir à Québec.»

Cette année-là, alors que le gouvernement provincial vient de faire des coupes massives, une deuxième tuile s'abat sur la ville. Ottawa annonce l'ouverture de 15 centres de recherche de pointe d'un bout à l'autre du pays, mais snobe Québec. La déception.

Sonnée, mais pas abattue, la communauté d'affaires se mobilise. Une poignée de leaders forment le GATIQ, un groupe de travail qui vise à moderniser l'économie de la capitale. Quatre projets phares sont retenus, souligne Chantal Routhier, dont la création du premier parc technologique de la ville et de l'Institut national de l'optique.

Les débuts de ce «Québec techno» sont lents. Il faut changer la mentalité des nombreux chercheurs déjà présents dans la région, une tâche plus ardue qu'il n'y paraît à première vue, rappelle le maire Régis Labeaume, qui a lui-même été l'un des dirigeants de la Cité de l'optique et de l'organisme Innovatech.

«Tout le monde se préoccupait de faire des recherches fondamentales, et l'apothéose de la recherche, c'était d'écrire un papier et d'aller faire une conférence quelque part! lance le maire, rencontré dans son bureau à l'hôtel de ville. Pendant ce temps, les autres prenaient les idées et développaient des produits commercialisables.»

Le travail de persuasion auprès des chercheurs a fait son chemin. Régis Labeaume cite l'exemple de l'infectiologue Michel Bergeron, dont les travaux réalisés à l'époque ont permis l'implantation d'une usine de tests diagnostiques de la société Becton Dickinson à Québec. Elle emploie aujourd'hui plus de 300 personnes. «On est rendus à l'étape de l'industrialisation de la connaissance.»

Le même genre d'essor a été observé dans l'industrie du jeu électronique, où Québec s'est taillé une place enviable. Par nécessité, croit Pierre Moisan, vice-président stratégie corporative et juridique chez Frima Studio.

«Historiquement, on finissait notre bac en sociologie et on avait un job au gouvernement, souligne-t-il. Puis, dans les années 80, les portes se sont bloquées. Il a fallu trouver d'autres débouchés, ç'a été très sain.»

Frima est aujourd'hui le plus important studio indépendant du Canada, avec 370 employés qui donnent autant dans le jeu vidéo que dans les effets spéciaux pour le cinéma. La croissance est telle que le groupe déménagera dans des locaux beaucoup plus vastes d'ici l'été, à quelques coins de rue de ses bureaux colorés de la basse-ville.

Une nouvelle image

Ces succès éclatants contrastent avec le climat du milieu des années 90. À l'époque, le taux de chômage frôle les 11%. Les jeunes s'exilent en masse vers Montréal, faute d'emplois de qualité. Le quartier Saint-Roch, aujourd'hui le plus branché de la ville, est un repère de drogués et de prostituées. La «radio-poubelle» domine, et l'ambiance générale est tout sauf dynamique.

«Il y avait un certain nombre d'acteurs qui se plaisaient à promouvoir la morosité, se rappelle Louis Têtu, l'un des hommes d'affaires les plus en vue de la capitale. Moi, je le dis ouvertement: il y a 15 ans, les journalistes du Soleil n'aimaient pas la ville de Québec. C'était juste du chialage. Tu annonçais un investissement de 25 millions, ça passait près de la nécrologie, et quand tu faisais 20 mises à pied, tu faisais la première page!»

Louis Têtu est l'un de ceux qui ont contribué à revitaliser l'économie - et le moral - de la capitale. L'entreprise de logiciels qu'il a cofondée à Québec, Taleo, a connu un tel succès qu'elle a été rachetée pour 1,9 milliard par l'américaine Oracle. Sa nouvelle société, Coveo, connaît un essor marqué, comme en témoignent la douzaine de nouveaux employés en formation le jour de notre passage.

Cet entrepreneur en série estime que le climat d'affaires s'est beaucoup amélioré ces dernières années dans la capitale. Il salue le leadership de Régis Labeaume, qui a contribué à remettre Québec «sur la mappe», avec, notamment, un nouvel aéroport de calibre international. Et à redonner confiance à la ville, une clé essentielle à son renouveau.

«Une communauté est comme un individu: ça fonctionne mieux lorsqu'il y a de la confiance en soi, avance-t-il. Je pense que Québec a retrouvé une belle confiance en elle, comme une ville qui est capable de grandir et de prospérer, de compétitionner, une ville qui n'a pas peur.»

Parmi les autres ingrédients du boom de Québec, le maire Labeaume souligne la réussite des fusions municipales de 2002, qui ont donné les coudées franches à l'administration pour réaliser de vastes programmes d'infrastructure. Il cite aussi les Fêtes du 400e - sauvées in extremis du désastre en 2008 -, qui ont su redonner la «fierté» à la population.