« Les gens ont l'impression qu'on est sur la mamelle et qu'on tète l'argent du gouvernement. Mais je suis profitable pour la province. Et il me semble que quand on a des problèmes d'argent, on coupe dans les centres de dépenses, pas dans les centres de profits! »

Jacques Turgeon n'est pas de la meilleure humeur qui soit. Le directeur du Centre de recherche du CHUM n'encaisse tout simplement pas la décision de Québec de diminuer le financement de la recherche sur la santé.

Le gouvernement Marois a sabré 10 millions de dollars dans le financement des 18 centres de recherche en établissements de santé du Québec comme celui du CHUM, sur un budget total de 103 millions.

Les centres touchés sont d'abord montés au front en affirmant que les réductions mettront en péril l'accès des patients québécois aux soins de pointe. Mais en entrevue à La Presse Affaires, M. Turgeon a aussi brandi des arguments économiques. Selon lui, les réductions annoncées par Québec, loin d'aider la province à boucler son budget, auront des impacts négatifs sur l'économie du Québec.

« Les 18 centres de recherche génèrent 150 dépôts de brevet chaque année. On fait naître des entreprises, on signe des ententes de licence, on crée de la valeur pour le Québec », martèle-t-il.

M. Turgeon fait valoir qu'avec chaque dollar attribué par le provincial, ses chercheurs vont en chercher cinq autres ailleurs, que ce soit des bourses fédérales, des fondations internationales comme celle lancée par Bill Gates ou des partenariats avec les grandes entreprises pharmaceutiques.

« Tu me donnes une piastre, j'en ramasse cinq. À moins que quelqu'un me dise que je ne sais pas compter, il me semble que c'est une bonne affaire », martèle M. Turgeon.

Un trou de 50 à 60 millions

Selon lui, justement à cause de l'effet levier, les réductions de 10 millions se traduiront par un trou de 50 à 60 millions pour les centres visés. « J'ai une business de 70 millions au centre-ville de Montréal, continue M. Turgeon. Je dois bien avoir un certain impact économique. Si on n'est pas là, il y a un casse-croûte quelque part qui ne vend plus ses sandwichs, il y a un Starbucks qui ne mange plus, il y a quelqu'un qui ne vient plus livrer de stock... Sans compter les infirmières de recherche qui paient des impôts, les gens hautement qualifiés qu'on forme... »

Les réductions annoncées, jugées « inattendues », arrivent au pire moment, soutient M. Turgeon. Crise oblige, les chercheurs européens et américains subissent aussi le couperet de leurs administrations publiques. Avec l'engouement créé au Québec par la construction du nouveau CHUM et du CUSM de McGill, notamment, le Québec se trouvait dans une bonne position pour les attirer.

« On était dans un mode attractif, dit M. Turgeon. Moi, je viens de recruter un gars de Harvard. »

Les réductions en Europe et aux États-Unis ne montrent-elles pas justement que le Québec ne fait que suivre la tendance mondiale de rationaliser dans la recherche? Ne s'agit-il pas que d'un retour du balancier?

« Non, ce n'est pas un retour du balancier, tranche M. Turgeon. Des coupes, en recherche, il y en a eu, il y en a eu, et il y en a eu. Aujourd'hui, je recrute quelqu'un après un bac, une maîtrise, un doctorat, quatre ans de postdoc, et je lui offre 57 000$. Alors, dire qu'on est les enfants gâtés à l'international... Ou bien on est une société où on dit que la recherche sert à quelque chose. On bien on passe notre tour et on attend. C'est quoi, notre choix? »